TRAIT D'UNION N°67
Hommage à Jean Luiggi
Hommage à Jean (Émile Eugène) Luiggi
(Viroflay, 30-1-1934 – Montauban 22-8-2024)
Académicien – Fauteuil N° 1 – 2008 – 2022 - Membre honoraire – 2022 – 2024
Cérémonie du mardi 27 août 2024 – 10h30 – Temple de Barry-d’Islemade.
Madame le Pasteur, madame et chère Marie-Hélène, mesdames, messieurs,
Jean Luiggi avait été élu au fauteuil N°1 de l’Académie des sciences, des lettres et des arts de Montauban le 6 octobre 2008. Il succédait à Monseigneur Bernard Housset. Il fut officiellement reçu sous la présidence de Norbert Sabatié le 5 janvier 2009, par monsieur Robert Guicharnaud qui présenta alors un ami dont il appréciait les qualités intellectuelles et humaines.
Le 30 janvier 1934, une sage-femme de Viroflay en région parisienne, accompagna la naissance de Jean Luiggi. Il vécut à Versailles. Il était fier de ses origines corses et d’un arrière-arrière-grand-père ayant combattu à Austerlitz au sein de l’armée napoléonienne, décoré de la Légion d’Honneur. Sa curiosité naturelle l’avait amené à effectuer des recherches généalogiques et à découvrir un ancêtre montalbanais, consul de la ville en 1606. Une partie de sa famille était originaire de Lorraine. Ainsi, il se définissait comme étant un peu de partout et surtout il se sentait partout très bien.
Jean Luiggi était, en effet, un homme de dialogue, d’ouverture, d’humeur égale et bienveillante. Ces qualités furent mises au service de ses activités professionnelles au sein d’une entreprise pharmaceutique.
Sa passion pour le théâtre, son goût pour la communication l’amenèrent à travailler sa voix, timbrée et chaleureuse. Il créa des groupes de théâtre, il produisit des mises en scène, des émissions radiophoniques. Il s’intéressa à la lecture à haute voix dans le cadre de l’Âge d’Or de France. Il anima des stages d’oralité pour les pasteurs protestants intervenant notamment sur les ondes de France Culture. Il assura sur Fréquence Protestante à Paris des lectures et reçut des écrivains, journalistes, librettistes de renom.
Arrivé à Montauban en 2000, il présida la Société Montalbanaise d’Étude et de Recherche sur le Protestantisme de 2004 à 2012 et fut vice-président du cercle généalogique du Quercy. La généalogie, une autre de ses passions : pour Jean Luiggi il s’agissait de découvrir, de comprendre où, comment et pourquoi vivaient ses ancêtres. Pour lui, la généalogie participait donc de l’histoire.
Lors de sa réception officielle au sein de l’Académie, c’est avec raffinement et humour qu’il avait rendu hommage à son prédécesseur Monseigneur Bernard Housset. Imaginant un échange avec son chat chartreux au pelage bleu-gris, un chat qu’il imaginait interrogateur : Et ça ne te fait rien, à toi, le parpaillot, de t’assoir dans le fauteuil d‘un évêque ? Il répondait à son chat, non sans malice : Eh bien oui ! Cela me fait quelque chose, cela me procure une grande joie. Je ressens beaucoup d’honneur de succéder ainsi à un homme que je respecte.
Au sein de notre Compagnie, Jean Luiggi bénéficiait de l’estime de tous. Son érudition, sa culture étaient immenses. Bienveillant, ouvert, discret, il savait écouter, rassurer, conseiller avec diplomatie et empathie.
Et que dire de son écriture ? Elégante et raffinée. Il prononçait, d’une fort belle voix, des conférences remarquables souvent teintées d’humour.
Je pense avec émotion à la conférence publique Vivandières et cantinières, vaillance et dévouement présentée en 2021. J’ai encore en mémoire la chronique académique Eugène Labiche et le théâtre bourgeois qu’il nous avait offerte lors de la séance privée du 3 octobre 2022, peu avant sa demande d’honorariat. Je me souviens, bien sûr, de la conférence à deux voix, proposée au Théâtre de Montauban, lors de la séance solennelle du dimanche 17 décembre 2017, en compagnie de notre consœur Christiane Vallespir Jacques Offenbach : le rire au Second Empire.
Homme d’engagement, de devoir, Jean Luiggi avait accepté la charge de secrétaire général de l’Académie qu’il assurait avec une très grande conscience. De 2016 à 2020 il assistait les présidents Bécade et Nespoulous. Nous savions pouvoir compter sur lui pour nous rappeler confraternellement, les dates de nos séances, celles de nos conférences et les échéances à respecter pour les publications de l’Académie.
En novembre 2019, réélu secrétaire général pour le mandat de la nouvelle présidente, il me sollicita alors pour être son adjointe. Ce fut pour moi un grand honneur. La pandémie COVID arriva et Jean Luiggi me demanda de prendre son relais. Je souhaitais qu’il conserve son poste, il insista. La transmission s’opéra avec de sa part, une gentillesse infinie, une grande transparence et une extrême clarté. Il répondit toujours à mes sollicitations, disponible et bienveillant.
Soyez assurée, Madame, ainsi que votre famille, que la marque que votre époux laisse dans nos cœurs et nos esprits est indélébile. Ce grand humaniste manquera à l’Académie de Montauban.
Au nom du président Robert d’Artois, des ex présidents Claude Sicard, Norbert Sabatié, Philippe Bécade, Jean-Luc Nespoulous, des ex présidentes Geneviève André-Acquier et Geneviève Falgas, au nom de mes consœurs et confrères de l’Académie, je vous assure de notre profonde sympathie et vous présente nos sincères condoléances.
Mireille Courdeau
Vice-présidente
Hommage à Paul DUCHEIN
Pharmacien, collectionneur d'art brut et d'art premier, commissaire d'exposition et artiste, Paul Duchein est décédé ce vendredi 12 janvier 2024 à Montauban dans sa 94e année. Natif de Rabastens dans le Tarn, il laisse une trace indélébile dans la vie culturelle du Tarn-et-Garonne et bien au-delà.
C'est une grande figure de la vie culturelle d'Occitanie qui vient de disparaître. Paul Duchein s'est éteint ce vendredi matin 12 janvier à Montauban (Tarn-et-Garonne), la ville où ce natif de Rabastens (Tarn) aura vécu l'essentiel de sa longue et riche existence. Il aurait eu 94 ans le 23 février prochain.
Pharmacien, Paul Duchein avait repris avec son épouse Jacqueline (une Toulousaine, fille d'un pharmacien militaire affecté à Montauban, qu'il avait rencontrée en 1938 et qu'il épousera en 1954) l'officine de ses tantes, rue de la Résistance. Inséparable, jusqu'au décès de Jacqueline en 2022, le couple mènera toute sa carrière dans cette pharmacie du centre historique de Montauban. Paul Duchein présidera pendant une vingtaine d'années le syndicat des pharmaciens de Midi-Pyrénées.
Devenu rédacteur en chef de la revue nationale des pharmaciens, il s'est très tôt passionné pour l'art. Fils d'un médecin et d'une institutrice, Paul Duchein a 14 ans lorsqu'il découvre le modelage dans l'atelier de Giovanni Leonardi, céramiste sicilien. Un jour, ce dernier lui dit: "Tu sais petit, tout passe dans la vie, sauf l'art". Paul Duchein en fera son totem.
Génie du collage, il créera plus de 1500 boîtes, comme autant de cabinets de curiosité miniatures.
Dans les années 60, il s'intéresse aux épaves rejetées par la mer et commence alors ses "boîtes". Génie du collage, il en créera plus de 1500. Conçues comme autant de cabinets de curiosité miniatures à partir d'objets de récupération, ces boîtes feront la renommée de Paul Duchein.
Attiré par le mouvement surréaliste, il rencontre André Breton, se passionne pour l'art brut, l'art populaire et les arts premiers. Instigateur des Rencontres de l'art au musée Ingres en 1974, il a fait partager pendant près d'un demi-siècle sa passion de l'art aux Montalbanais, faisant découvrir au public des œuvres de Picasso, Zadkine, César, Buffet, Vieira da Silva ou encore Poliakoff.
Lui-même ne se définissait pas comme un artiste. "Non, je suis un fabricateur!" confiait-il en 2016 un soir d'exposition à la Maison des écritures de Lombez (Gers). Pourtant, grâce à sa rencontre avec François Mathey, directeur des arts décoratifs, Paul Duchein s'est fait une place de choix dans le milieu des arts plastiques.
C'était aussi un grand collectionneur. Celles et ceux qui franchissaient la porte de sa maison étaient éblouis par la beauté des œuvres réunies par Paul et Jacqueline... et subjugués par les commentaires éclairés de ce "grand bavard" qu'était Paul Duchein.
Peu d'hommes ont vécu l'art aussi intensément que lui. Cela mérite tous les hommages... et de transmettre le nom et l'œuvre immense de Paul Duchein à la postérité.
Hommage à Michel SUSPÈNE
Michel Suspène était membre titulaire de notre Académie depuis l’automne 2004, soit 19 ans, reçu en 2005 par son confrère le docteur Philippe Rollin avec lequel il partageait une conception particulièrement humaniste de la médecine.
C’est ce mot humaniste qui nous vient à l’esprit dès que nous pensons à lui. En effet , sa manière d’être donnait chair et corps à ce terme parfois un peu trop facilement utilisé.
Né à Albi, mais aussi fier de l’ascendance Mallorquine de sa mère qui connut la guerre civile espagnole, il fit ses études secondaires au lycée Lapérouse pendant l’occupation.
Fasciné très jeune par le dévouement permanent de leur médecin de famille, il le prit en exemple et c’est ce qui le décida à vouloir faire le même métier. Médecin de campagne, homme de bons conseils, tourné vers les autres, dans une conception proche d’une forme de sacerdoce, comme l’ont bien perçu et reconnu nombre de verdunois tout au long des 37 ans de son exercice professionnel. Il fut aussi médecinlieutenant-colonel,
chef départemental des sapeurs pompiers de Tarn et Garonne.. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si sa conférence de réception à l’Académie est consacrée à Avicenne, à la fois philosophe et médecin.
Avicenne ce savant, ce médecin qui alliait savoir et bon sens, intellectuel aux multiples facettes, mais loin d’être un esprit désincarné, au contraire toujours tourné vers les autres et le réel.
Avicenne, une référence pour Michel Suspène, homme de savoir discret et d’érudition partagée avec finesse. Michel Suspène,
Un lettré au sens le plus noble du terme, à l’humour délicat et communicatifdont il nous a régalé à différentes reprises lors de chroniques appréciées de tous les membres présents à nos séances privées, notamment une sur la L.E.M (la Loi d’emmerdement Maximum) et une autre sur les parlers toulousains. Nous lui devons aussi en janvier 2020 une très belle conférence quasi prémonitoire et très documentée sur « Mathieu Orfila pionnier de la toxicologie médico-légale » quelques semaines avant le premier confinement, au moment où l’on commençait à évoquer une pandémie….
Mais aussi compagnon de voyage agréable avec sa femme Annie et de leurs amis Valette lors des différentes sorties et déplacements que ce soit avec l’Académie ou l’AMOPA.
Sans oublier le mélomane et son travail inlassable autour de l’orgue de Verdun dont plus d’une centaine de concerts organisés….
Esprit ouvert, curieux, réfléchi, bibliophile assidu et respectueux, empreint d’une sagesse sereine, et dont une malice élégante illuminait le regard…
Nous avions le sentiment d’avoir parmi nous un homme « bon » au sens grec du terme un kallos-Kaghatos, associant bonté et beauté de l’âme.
Michel Suspène, au nom de l’Académie je dirai que nous sommes fiers de vous avoir eu comme confrère, et nous vous remercions d’avoir été des nôtres. …
Michel Suspène, vous allez tant nous manquer…
Le 21 décembre 2023 Eglise Saint Michel de Verdun sur Garonne.
Emanuel Swedenborg (1688-1772) par Jean-Marc DETAILLEUR
Aujourd’hui presque totalement oublié, Swedenborg a marqué le courant spirite et ésotérique de son époque : au siècle des lumières, siècle de la révolution scientifique, le monde du surnaturel n’est pour autant pas délaissé Swedenborg : d’un côté un savant extraordinaire à la pointe du progrès, « de l’autre un visionnaire méthodique décrivant avec forces détails les mondes parallèles qu’il disait visiter », ces illuminations conduisant au diagnostic de la maladie psychiatrique.
Mais l’homme en lui-même s’est toujours comporté normalement, aimant la vie mondaine Il est né Emanuel Svedbert en 1688 à Stokholm, fils d’un évêque luthérien.
Très doué pour les études, il acquiert un savoir encyclopédique, passe deux ans en Angleterre pour parfaire sa formation – sans pouvoir y rencontrer I Newton- puis passe en Hollande où il apprend à polir les lunettes comme Spinoza, et en France.
Sur le chemin du retour il écrit à son beau-frère, l’érudit Benzelius, une lettre restée célèbre dans laquelle il détaille 14 de ses inventions. Il fonde, rentré en Suède, en 1716, une des premières revues scientifiques connues. Il est présenté au roi Charles XII, passionné de mathématiques.
Il est chargé d’un certain nombre de grands travaux. Anobli, il devient Svedenborg et siège à la chambre haute.
Touche à tout de génie, il jette par exemple les bases du système décimal. Mais il refuse la chaire de mathématiques à Upsala, celle de
Celsius ; car c’est avant tout un ingénieur.
Et il s’intéresse aussi à la symbolique des rêves. Plus il avance dans ses recherches scientifiques, plus il tente de découvrir « les rapports entre la création et le créateur, entre les faits scientifiques et la révélation, entre me monde visible et le monde spirituel »
A 56 ans, il abandonne toutes ses fonctions pour se consacrer à la réflexion spirituelle. Le Christ lui apparait. Son œuvre théologique
majeure, « les arcanes célestes » comprend 8 volumes in quarto. Pour lui la vie est l’œuvre d’un soleil spirituel qui est la cause du soleil
naturel, qui lui crée la vie sur terre. L’homme est d’abord un être spirituel qui revêt dans ce monde un vêtement de chair. « correspondance est un des mots-clés de sa théologie : il existe une correspondance entre les réalités invisibles du monde pirituel et les réalités visibles du monde physique ». Les premières sont les causes des secondes.
Il décrit depuis Göteborg l’incendie de Stockhom, ce qui conduisit Kant à écrire en 1766 « les songes d’un visionnaire expliqués par les songes de la métaphysique ». Il veut appliquer aux mystères de la foi les méthodes scientifiques. On le prend pour un doux illuminé ! Mais en même temps il propose, en 1761, un système de papier monnaie.
Ses ennemis, ne pouvant l’atteindre comme hérétique -il bénéficie de la protection de la famille royale- veulent le faire interner comme fou. Il s’exile à Londres où il meurt en 1772.
Jean-Marc Detailleur