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« Michel Schmidt – Chevalier : cheminement d’un artiste de Berlin à Lauzerte »

 

L’Arc, jolie rivière quelque peu tumultueuse, prend sa source à Pourcieux dans le Var. Son embouchure se situe dans l’Étang de Berre. L’Arc est célèbre par ses ponts, par l’Aqueduc de Roquefavour qui achemine l’eau de la Durance vers le Canal de Marseille, par le Pont des Trois Sautets qui dessert Aix-en-Provence. L’Arc est aussi très redouté pour ses crues. 

Pourquoi vous parler de l’Arc ? Parce que l’une de ses violentes crues a eu lieu les 2 et 3 octobre 1973. L’eau inonde le quartier des Trois Sautets, endommageant de nombreuses habitations et détruisant l’atelier et les œuvres du plasticien Michel SCHMIDT-CHEVALIER. L’artiste a déjà vécu d’autres drames, d’autres épreuves. Il a trouvé, pensait-il, à Aix-en-Provence un port d’attache agréable. Il aime cette ville de musique et de culture, son ambiance, sa campagne. Il y a des amis, passionnés comme lui, d’art, de littérature et de sciences, tel Jacques MANDELBROJT, son collègue à l’Université de Luminy. Il y a créé et préside depuis janvier 1968 le groupe PERSPECTIVES, réunissant des artistes représentatifs des principaux courants et sensibilités des créateurs « modernes » de cette seconde moitié du XXème siècle. Mais à cette époque de sa vie, il considère que cette crue de l’Arc est le sinistre de trop. Il décide de quitter Aix-en-Provence et vient s’installer en Quercy, à Cours, près de Cahors.

C’est dans la sérénité de ce village qu’il reprend son travail de créateur.

Il retrouve dans le Lot son ami Jean LURÇAT à Saint Laurent les Tours, près de Saint-Céré. Il rencontre Jacques BUCHHOLTZ[1], correspond et échange avec son voisin de Lauzerte.

En Provence, Jacques MANDELBROJT a été le trait d’union entre Michel SCHMIDT-CHEVALIER et moi. Nous avons pris le même chemin migratoire de l’est vers l’ouest. Lui d’Aix-en-Provence à Cours, moi de Marseille à Montauban. Ninon, son épouse, sa compagne, sa complice de tous les instants depuis la Résistance a perpétué sa mémoire. Avec ses enfants, Geneviève et Olivier, nous avons pris le relais.

 

Michel SCHMIDT - CHEVALIER est dessinateur, peintre, sculpteur, mosaïste, né à Berlin en 1907, de père allemand (Curt SCHMIDT -CHEVALIER, portraitiste) et de mère française (Henriette CHEVALIER, pianiste originaire de Nantes). Il passe sa petite enfance à Paris, dessine et « barbouille » déjà.

La première guerre éclate alors qu’il se trouve avec sa famille en vacances en Allemagne. Il continue donc ses classes à Berlin jusqu’en 1924. Il est élève de NEHRLINGER.

Il revient ensuite à Paris et travaille dans les Académies de COLAROSSI et de GRANDE-CHAUMIERE où il croise Antoine BOURDELLE. Peut-être même a-t-il suivi les cours du montalbanais en 1928/29. Pas sûr mais peut-être...

En 1930, il fait la connaissance d’Otto FREUNDLICH et devient son élève jusqu’en 1932. Il adopte le style non figuratif. Il fréquente ensuite Auguste HERBIN, Sonia DELAUNAY et les peintres du groupe « ABSTRACTION - CREATION »[2]. Il se lie d’amitié avec les peintres Jankel ADLER, Franz Wilhelm SEIWERT, Raoul UBAC et d’autres autour de la revue « A BIS Z » publiée à Cologne de 1929 à 1933, revue d’artistes progressistes, courageux antinazis, parmi lesquels : Franz Wilhelm SEIWERT (1894-1933), Heinrich HOERLE (1895-1936), Gerd ARNTZ (1900-1988), Hans SCHMITZ (1896-1977), Otto FREUNDLICH (1878-1943).

Entre 1930 et 1936, il gagne sa vie en illustrant de nombreux livres pour enfants, édités chez BOURRELIER (Collection La Lanterne Magique). Il organise des expositions pour cet éditeur qui restera l’un de ses fidèles amis et réalise sa première exposition personnelle à la galerie BRETEAU à Paris.

 

En 1936 il s’engage dans la guerre d’Espagne, aux côtés des Républicains, puis rejoint les Forces Françaises Combattantes, réseau « Orient », réseau de renseignements à Londres. De 1936 à 1945, bien sûr, il remise ses pinceaux.

De retour à Paris en 1945, il trouve son atelier et sa galerie vidés de toutes ses œuvres… un pillage dû à sa condition d’artiste républicain laïque et à ses engagements militants dans la résistance. Il « cumule » en effet : français d’origine allemande combattant le fascisme, le franquisme et le nazisme.

En Résistance il a rencontré Ninon, engagée et active elle-aussi. Elle lui a été d’un grand secours dans les années 40 (passage clandestin en Angleterre). A la fin de la guerre il l’épouse. Elle restera à ses côtés jusqu’au bout : secrétaire, conseillère, infirmière, agent artistique et mère de ses deux enfants.

Ils s’établissent à Aix-en-Provence, Pont des Trois Sautets. Il peint toujours mais considérant qu’un artiste plasticien accompli doit maîtriser toutes les techniques (ou presque) il travaille la céramiste à partir des dessins de ses propres maquettes. Ses créations décorent de nombreux sites publics et privés en France, Belgique, Suisse, Scandinavie.

A l’occasion d’un de ses voyages en Italie il découvre la mosaïque. Il visite alors l’école de Ravenne. Il affectionne particulièrement Sienne, Florence, Venise, Torcello et bien sûr Murano, où il se procure les « smalt », les tesselles, pour ses mosaïques.

Il conjugue maintenant ses deux passions, peinture et mosaïque et n’abandonne pas le dessin, indispensable dans l’élaboration des « cartons » préparatoires à la réalisation de ses œuvres. Il s’essaie aussi à la sculpture, au bronze et même au collage.

Il travaille avec les frères LURÇAT : André, l’architecte – urbaniste et Jean, le peintre (notamment Tympan église de Maubeuge et Ecole de Saint Denis – Basilique).

Il partage son temps entre la réalisation d’œuvres de commande et les expositions (Aix-en-Provence, Avignon, Barcelone, Buenos-Aires, Crest, Gand, Marseille Musée Cantini, Menton Biennale 70, Nice, Nîmes, Paris Salon d’Automne, Toulon, Tübingen, Venise biennale 60, etc.).

En 1967, il fonde le groupe « PERSPECTIVES » rassemblant une vingtaine d’artistes non figuratifs du sud de la France. Il est chargé de cours à l’Université de Luminy (section Arts Plastiques). En 1970 il est membre honoris causa de l’Académie « Tommaso Campanella » des Lettres, Arts et Sciences.

En 1973, à la suite de la crue de l’Arc, il revit douloureusement la destruction de son atelier et de ses œuvres, rappel du saccage parisien par les nazis. Il décide alors de s’installer à Cours où il s’éteint en février 1987.

 

L’homme 

Michel SCHMIDT - CHEVALIER est un homme engagé dans ses écrits, ses discours et surtout dans ses actes. Les grands combats du XXème siècle ne l’ont pas laissé indifférent. En 1933, il prête son concours à Thomas MANN[3] en lutte contre la montée du nazisme en Allemagne, en partance pour un exil aux États-Unis.  De 1936 à 1945 il est combattant et résistant contre le fascisme espagnol puis le nazisme allemand.

Son sens aigu et exigeant du rôle de l’artiste dans la société, lui fait créer en 1967 le groupe « PERSPECTIVES », déjà cité, destiné à promouvoir l’art contemporain, « à faire connaître », écrit-il, de manière vivante les recherches contemporaines dans les arts plastiques, de les insérer si possible dans la vie de la cité ». 

 

Il ne faut pas voir dans cette initiative une quelconque promotion mercantile de l’art contemporain. Il n’est pas homme d’argent ! L’objectif est ici de l’ordre de la médiation culturelle : créer un courant d’échange permettant aux artistes de faire connaître et comprendre leur travail et permettant au public de découvrir et d’apprécier les nouvelles tendances de l’art.

Profondément pédagogue, il anime à Aix-en-Provence la « Récréation », un atelier d’initiation aux arts plastiques ouvert aussi bien aux enfants, qu’aux adolescents et aux adultes.

Exigeant avec lui-même comme avec ses proches, ses étudiants, Michel SCHMIDT-CHEVALIER aime transmettre, convaincre, séduire aussi.

Son esthétique 

Elève de FREUNDLICH, sa démarche non figurative se rapproche de celle du groupe « ABSTRACTION – FIGURATION »[4]. On peut le situer dans la lignée du BAUHAUS : rigueur, adaptation de l’œuvre à l’architecture, adaptation de l’œuvre au matériau.

Son expression artistique est très réfléchie, d’une extrême sensibilité, toujours dépouillée, profonde, d’une grande finesse. La justesse de ses choix de couleurs s’impose au premier regard, notamment dans ses mosaïques. Tout y est vibrations, nuances, mouvement, musique et cheminement quasi initiatique.

Cet art, qu’il destine au public le plus large, est cependant un art sans concession.

 

Le mosaïste 

A partir de 1957, il crée surtout des mosaïques d’après ses propres maquettes (exception faite pour sa collaboration avec Jean LURÇAT). Michel SCHMIDT - CHEVALIER contribue, avec le célèbre peintre mosaïste italien Gio SEVERINI au renouveau de la technique de la mosaïque : « La première tesselle posée, smalt[5] ou pierre, détermine presque tout l’ensemble, la composition de l’œuvre se fait lentement, par petits bouts. C’est une re-création de l’œuvre existant déjà à l’état imaginaire et l’on travaille dans un état second, comme un rêve » écrit-il.

SEVERINI et SCHMIDT - CHEVALIER insistent sur la nécessité pour les mosaïstes de réaliser eux-mêmes leurs œuvres à partir de leurs propres dessins, de leurs propres cartons, sans en sous-traiter l’installation pierre à pierre sur le support (le support est du mortier).

La technique de la mosaïque qui implique un effort de simplification des formes, une décantation des couleurs, se trouve être pour Michel SCHMIDT - CHEVALIER un prolongement naturel de ses recherches en peinture. Au-delà de toute figuration, il s’attache à l’expression du mouvement, du rythme, de l’espace[6].

Il écrit :« Pourquoi faire de la mosaïque, alors qu’il est tellement plus simple de s’exprimer en tant que coloriste à l’aide des différentes techniques de la peinture ?  Les problèmes fondamentaux sont les mêmes, seuls les matériaux employés diffèrent. Je crois qu’il y a là surtout une question de tempérament, de caractère ! ». Et du caractère, il n’en manque pas.

Pour le mosaïste, tout est démarche intérieure, lent cheminement de la pensée, projection purement psychique de « ce » qui va peut-être naître. La réalisation d’une mosaïque ne peut commencer que lorsque tout est conçu, senti, vu, imaginé, prêt. Pour Michel SCHMIDT-CHEVALIER, à ce stade, l’œuvre pourrait très bien ne pas être matérialisée. « On pourrait aller dormir » dit-il plutôt que de se fatiguer à coller les tesselles sur le mortier !

Artiste attachant, à la personnalité affirmée. Alors pourquoi le présenter aujourd’hui ?  Parce que proche des membres du groupe PERSPECTIVES à Aix-en-Provence, j’ai croisé et admiré Michel SCHMIDT-CHEVALIER. Son épouse et ses enfants m’ont confié la gestion de son fond d’atelier et la promotion de son œuvre.

Pourquoi des mosaïques à Lauzerte ?

Alors lorsque s’est posée la question de la destination de certaines de ces mosaïques, le village de Lauzerte s’est imposé :

- pour sa beauté minérale, médiévale,

- pour les jeux de lumières sur la pierre du Quercy

- pour les correspondances esthétiques et intellectuelles qui s’étaient établies entre ces deux artistes, deux hommes d’exception qui se sont appréciés. Une même approche : « Un peu de rêve dans la tête, un peu de terre dans les mains, beaucoup de bonheur dans le cœur », selon la formule de Jacques que partageait Michel

- pour les œuvres fortes des deux artistes, œuvres pourtant accessibles à tous, enfant ou adulte, pour peu qu’on ouvre les yeux

- pour l’itinéraire spirituel des pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle et celui laïque et tout aussi spirituel de Michel SCHMIDT - CHEVALIER  

Ainsi 8 mosaïques sont installées dans les locaux de la Médiathèque de Lauzerte, visibles par le public, point essentiel pour Michel SCHMIDT - CHEVALIER.

L’école de Ravenne le fascine et c’est cette technique ancienne qu’il adopte en l’adaptant à l’esthétique moderne qu’il défend. Il sait tirer parti de l’éparpillement des petits blocs de verre coloré et de pierre naturelle. A première vue il y a désordre, mais dès que l’attention se fixe, un univers d’harmonies, de couleurs, de sonorités apparait. 

Pour Michel SCHMIDT -CHEVALIER les mosaïques se contentent d’un éclairage tamisé et même préfèrent la pénombre… Ces petits blocs réfléchissent la lumière et par différents phénomènes optiques, dus à la technique de la pose des tesselles plus ou moins inclinée, ils semblent en mouvement.

 

« Les mosaïques de cette école ancienne[7] expriment le mouvement, non pas tant par leur composition, souvent d’une rigidité géométrique et d’une verticalité hiératique, mais bien par le reflet de lumière à tout instant changeante sur les matériaux employés. Sous l’effet de l’éclairage, une mosaïque réussie vibre, tourne, amorce un ballet de couleurs » écrit Michel SCHMIDT – CHEVALIER.

L’exposition permanente de huit mosaïques plus une mosaïque photographiée (collection privée Montauban), témoigne de la richesse de sa production artistique et de l’originalité de sa pensée.

 

 

N° 1 : « Cheminement N°7 » photo de Jean Pierre BASSO diamètre 120cm

N° 2 : « Ulysse » Bifrons ovale – 0,71 cm de haut x 0,41 cm de large

N° 3 : « Le couple » - 148 cm de haut x 0,50 cm de large

N° 4 : « Masque » - 0,37 cm de haut x 0,57 cm de large

N° 5 : « Cheminement noir, blanc, carré » - 0,55 cm de haut x 116 cm de large

N° 6 : « Cheminement noir et œil noir » - 0,55 cm de haut x 0,35 cm de large

N° 7 : « Sans titre » - 0,49 cm de haut x 0,38 cm de large

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Cheminement N°7 – Collection particulière – Photo M. Courdeau - OSC -

 

N° 8 : « Souvenir de Torcello » - 101 cm de haut x 150 cm de large

N° 9 : « Cheminement noir et pierres » - 0,45 cm de haut x 0,64 cm de large

Mireille COURDEAU – Membre titulaire - Chronique Académique du 8 janvier 2024

[1] Jacques BUCHHOLTZ (1943 – 1998) céramiste et sculpteur, installé à Lauzerte en 1972. Il réalise la décoration du Jardin des pèlerins ainsi que sur la Place des Cornières du village « le coin relevé ».

[2] « Abstraction-Création » : collectif d'artistes formé à Paris en 1931. En 1939 « Abstraction-Création" se transforme en » Réalités Nouvelles » sous l'impulsion de Robert et Sonia Delaunay.

[3] Ecrivain allemand : « La mort à Venise » en 1911, Avec « La Montagne Magique » (1924) Thomas Mann dépeint une société occidentale en déclin spirituel, intellectuel et moral. L’avènement du nazisme est pour lui le symbole de la déchéance intellectuelle du Vieux Continent.

[4] Groupe créé aux environs de 1935 et actif jusqu’en 1960. Sont proches ou membres du groupe : Poliakoff, Soulages, Kandinsky, Dubuffet, De Staël.  

[5] Pierre de potassium et cobalt de couleur bleue

[6] On comprend ainsi sa proximité avec les scientifiques de l’Université de Luminy et sa participation aux recherches sur les rapports « arts et sciences » avec des artistes comme Jacques Mandelbrojt et Marcel Frémiot.

[7] L’école de Ravenne