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L’art préhistorique dans la vallée de l’Aveyron.

par Mme Edmée LADIER, membre associé

Conférence du mardi 9 mai 2023

 

La Préhistoire et l’existence de « l’Homme préhistorique » sont actuellement admises par tous, et même largement popularisées. Mais ces notions sont très récentes, elles n’ont émergé et ne se sont imposées qu’au prix de nombreuses controverses dans la seconde moitié du XIX° siècle.

Ce sont des géologues et des paléontologues qui, en découvrant des vestiges d’activité humaine (outils en pierre taillée) ainsi que des restes humains dans des terrains géologiques renfermant des espèces animales disparues, vont ouvrir la brèche.

La découverte par Edouard Lartet du mammouth gravé sur ivoire de mammouth en 1864 à La Madeleine (Dordogne) donne enfin la preuve irréfutable d’un art préhistorique, donc de la contemporanéité de l’homme avec des espèces animales disparues. C’est donc une œuvre d’art qui confirme l’existence d’une humanité préhistorique.

L’art paléolithique a donc été très vite reconnu, dès le début des recherches dans ce domaine. L’art pariétal quant à lui n’a été reconnu que plus tardivement.

Définition de l’art paléolithique

En Préhistoire, on considère comme manifestation artistique tout tracé, peint ou gravé, qui n’a aucune utilité pratique. Un simple trait ou une tache de peinture peuvent donc être considérés comme de l’art.

On distingue deux catégories d’art. L’art pariétal ou art des grottes se manifeste sur les parois des grottes et abris sous roche. Ce peuvent être des peintures, des gravures ou des sculptures en bas-relief.

L’art dit « mobilier » est l’art des objets. Les armes (pointes de sagaies, propulseurs) et les instruments domestiques (« ciseaux », lissoirs, poinçons, bâtons percés) sont parfois décorés de motifs géométriques ou figuratifs (animaux).

On connaît aussi des objets décorés qui n’ont apparemment aucune utilité : ce sont des objets d’art, dans le sens moderne du terme.

Les objets de parure (perles, pendeloques) sont considérés comme des manifestations artistiques, car ils sont également l’expression d’une pensée symbolique.

Art pariétal

Les grottes de Lascaux ou de Vallon Pont d’Arc sont les exemples les plus célèbres de l’art pariétal paléolithique. Et ce à juste titre car leurs décors sont exceptionnels par leur étendue et leurs qualités artistiques. Elles ne se rapportent pas aux mêmes périodes, puisque il y a plus de temps entre Vallon Pont d’Arc (36 000 ans) et Lascaux (17 000 ans) qu’entre Lascaux et nous !

Pourtant l’art pariétal a été tardivement reconnu par les préhistoriens. Les bisons peints sur le plafond de la grotte d’Altamira, en Cantabrie, ont été découverts en 1872. Mais les esprits n’étaient pas prêts à accepter que des peintures aussi belles et aussi puissantes aient pu être réalisées par des « primitifs ». Il faudra attendre 1902, après les découvertes en 1901 des Combarelles et de Font-de Gaume pour que la réalité de cet art soit acceptée. C’est d’ailleurs à Montauban, lors de Congrès de l’Association Française pour l’Avancement des Sciences (AFAS), qu’Émile Cartailhac prononcera son célèbre « mea culpa d’un sceptique », dans lequel ce farouche opposant à l’idée d’un art pariétal préhistorique reviendra publiquement sur sa position.

L’art pariétal apparaît très tôt, dès l’Aurignacien. Les plus anciennes peintures de la grotte de Vallon Pont d’Arc sont datées de 36 000 ans. Des bas-reliefs de l’abri Castanet à Castelmerle (Sergeac, Dordogne) ont pu être datés de la même période (Mensan et al., 2012). Les plus récentes œuvres pariétales remontent à la fin du Magdalénien, vers 12 000 ans.

L’art pariétal dans la vallée de l’Aveyron

Dans la vallée de l’Aveyron, on connaît trois grottes ornées d’époques différentes, et six sites principaux, occupés au Magdalénien (fig. 1). Les sites relatifs aux périodes antérieurs sont très peu nombreux et archéologiquement très pauvres.

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Fig. 1 : carte des sites

Dans la grotte Mayrière supérieure à Bruniquel se trouvent deux bisons peints en noir, découverts en 1952 (Jarlan, 1952). Ils sont représentés l’un derrière l’autre (fig. 2). Il n’est pas possible de les dater directement, car le pigment utilisé est un oxyde de manganèse, donc un minéral qu’on ne peut dater par la méthode du Carbone 14. Le style des dessins, la façon de représenter les animaux de profil mais les cornes de face permet de les comparer à d’autres peintures bien datées. Les spécialistes pensent donc qu’ils remontent au Gravettien, culture qui s’est développée entre 29 000 et 22 000 ans.

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Fig. 2 : grotte Mayrière supérieure, bisons (Gravettien probable)

Les peintures de la grotte du Travers de Janoye ont été découvertes en 1978 (Clottes et Lautier, 1981).

Les figures principales sont disposées de part et d’autre de la fissure terminale de la salle où elles se trouvent. Ce sont des têtes de bouquetin peintes en noir. Chacune est accompagnée d’une rangée verticale points rouges qui suivent les bords de la fissure. D’autres figures animales schématisées et points rouges disposées en lignes parfois superposées se trouvent alentour (fig. 3). La comparaison des représentations des bouquetins avec celles, bien datées, de la grotte de Cougnac (Lot), permet de les attribuer également au Gravettien.

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Fig. 3 : grotte du Travers de Janoye (Penne, Tarn) : bouquetin brun et ponctuations rouges (Gravettien).

La présence de deux grottes ornées gravettiennes dans cette zone géographique pose problème, car les sites d’habitat y sont très rares, et très pauvres.

L’art mobilier gravettien y est très peu développé. On peut noter des côtes de petits herbivores décorées de séries d’encoches profondes (abri des Batuts, Penne).

La grotte de La Magdeleine-des-Albis (Penne) présente un décor sculpté en bas-relief, éclairé par la lumière du jour, découvert en 1952 (Bessac, 1972 ; Breuil, 1952). On dénombre trois représentations féminines, un cheval et un bison. Deux des femmes se trouvent en vis-à-vis sur les parois droite et gauche de la cavité. Elles sont représentées nues, à demi allongées, dans une attitude lascive. L’abbé Breuil les avait surnommées « les Madame Récamier de la Préhistoire » (fig. 4). Elles sont uniques dans tout l’art paléolithique. Une troisième femme sur la voûte, est représentée des aisselles aux genoux (Rouzaud et al. 1989). Les deux animaux sont manifestement des femelles. Tout le décor de la grotte semble se rapporter à la féminité, ou à la fécondité. Leur attribution au Magdalénien moyen (15 500-13 000 avant le présent) est faite sur plusieurs critères comparatifs : la sculpture en bas-relief, comme l’exposition à la lumière du jour sont bien connus sur des sites de cette période. De même, la représentation tronquée de la troisième femme, qui ne comporte que la partie du corps entre les aisselles et les genoux, se retrouve dans plusieurs sites datés du Magdalénien moyen, en particulier au Roc-aux-Sorciers, à Angles-sur-L’anglin (Vienne).

Aucune autre grotte ornée ne se rapporte au Magdalénien dans la vallée de l’Aveyron, ce qui pose également problème, puisque l’occupation humaine à cette période y a été très intense.

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Fig. 4 : grotte de la Magdeleine, femme de la paroi gauche

Art mobilier

L’art mobilier, l’art des objets, existe déjà dans les cultures les plus anciennes du Paléolithique supérieur. Dès l’Aurignacien, on rencontre des statuettes en ivoire. Les plus remarquables sont celles du Jura souabe (Allemagne) aux environs de 36 000 ans avant le présent. On trouve aussi des gravures sur des pierres de dimensions et nature diverse (calcaire, schiste, etc.) qu’on appelle des « plaquettes ». Ces supports seront utilisés jusqu’au Magdalénien et même dans des cultures postérieures.

C’est le Magdalénien qui offre le plus grand nombre d’objets ornés, tous supports confondus.

La fabrication d’objets en bois de cervidé (renne essentiellement) explose littéralement : les armes comme les pointes de sagaie puis les harpons se comptent par milliers, les instruments domestiques comme les « ciseaux », lissoirs, poinçons, aiguilles à coudre, bâtons percés se multiplient. Nombre d’entre eux sont décorés.

On trouve également des objets décorés, parfois richement, qui n’ont aucune utilité.

La nature des supports varie donc avec les phases auxquelles elles se rapportent, la nature de certains décors également.

La plus ancienne mention d’une gravure animalière sur os dans la vallée de l’Aveyron remonte à 1863, et c’est aussi la première description d’une gravure préhistorique sur os. La gravure représente des têtes de poissons, de saumons vraisemblablement. Elle figure dans une communication faite par Félix Garrigou (Garrigou, 1863), un des premiers fouilleurs de la grotte du Courbet, à l’Académie des Sciences de Paris. C’est donc à la grotte du Courbet, connue à l’époque sous le nom de « caverne de Bruniquel », que les premières œuvres d’art préhistoriques sont reconnues dans la vallée.

L’art mobilier dans la vallée de l’Aveyron

 

Seul le Magdalénien est bien représenté, car les cultures antérieures n’y sont que peu ou pas du tout présentes. Seul l’abri des Batuts (Penne, Tarn) a donné des os encochés non utilitaires.

 

Six grands sites magdaléniens ont donné plus d’un millier d’objets décorés. Ce sont, d’amont en aval, l’abri de Fontalès (Saint-Antonin-Noble-Val), la grotte du Courbet (Penne, Tarn), les quatre « abris du château » à Bruniquel : d’amont en aval les abris Plantade, Lafaye, Gandil et Montastruc.

Ces sites ont tous été occupés exclusivement au Magdalénien, mais pas tous aux mêmes phases.

Fontalès a été occupé seulement au Magdalénien supérieur, le Courbet au Magdalénien moyen et surtout au Magdalénien supérieur, Plantade du Magdalénien inférieur au Magdalénien supérieur, Lafaye essentiellement au Magdalénien moyen, Gandil essentiellement au Magdalénien inférieur, et Montastruc probablement dès le Magdalénien inférieur jusqu’au Magdalénien supérieur et même ensuite à l’Azilien. L’occupation de ces sites s’étend de 17 500 à 12 500 ans avant le présent.

Certains objets sont caractéristiques d’une phase particulière du Magdalénien : certaines armes ne se trouvent qu’au Magdalénien moyen, d’autres, comme les harpons, caractérisent le Magdalénien supérieur.

Toutes les phases du Magdalénien ont donné des œuvres d’art mobilier, sur supports utilitaires et non utilitaires. On rencontre ainsi des armes décorées, pointes de sagaies, harpons et propulseurs ; des instruments domestiques comme les poinçons, les lissoirs les « ciseaux », les bâtons percés ; des parures, dents animales percées et pendeloques diverses. On trouve aussi des objets d’art, dans le sens moderne du terme, qui sont des objets décorés sans utilité. Enfin, on trouve également des pierres ou plaquettes portant des gravures.

Les armes décorées

Les pointes de sagaie sont parfois décorées. Le plus souvent, les décors sont géométriques : stries, zigzags, traits ondulés…Certaines sagaies portent des rainures longitudinales, qui ne sont pas des décors mais des dispositifs techniques destinés à recevoir des lamelles de silex, solidement collées. Les armatures sont ainsi plus tranchantes. Mais on connaît aussi des pointes de sagaies ornées de figurations animales : un petit herbivore indéterminé à Lafaye, des têtes de chevaux à Plantade. Le style de ces têtes, trop grosses par rapport à l’encolure, montre qu’elles se rapportent au Magdalénien supérieur. A Fontalès, une sagaie est décorée de grenouilles.

Les propulseurs ne sont pas très nombreux dans la vallée de l’Aveyron. Ils se rapportent à deux types distincts, rapportables au Magdalénien moyen.

Les propulseurs dits de type 3 sont décorés d’une tête et parfois d’un avant-train d’animal, le plus souvent un cheval, sculpté en ronde-bosse. Dans ce cas, la partie de la crinière située entre les oreilles (le toupet) tient lieu de crochet. Un propulseur de ce type est connu à Lafaye (fig. 5), et le Courbet en a donné cinq à sept exemplaires, dont plusieurs sont malheureusement perdus. Quelques exemplaires pyrénéens sont ornés de bouquetins. Un exemplaire (Montastruc) montre une tête de bœuf musqué. Ce type d’objet, est caractéristique du Magdalénien moyen. Ces riches décors permettent de supposer que ces armes étaient des objets de prestige.

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Fig. 5 : propulseur de type 3. Abri Lafaye, (Magdalénien moyen)

Il en va de même pour les propulseurs dits de type 4, ornés d’un animal complet, sculpté également en ronde-bosse. On en connaît deux dans la vallée de l’Aveyron. Celui de Montastruc est exceptionnel, car il représente un mammouth. Le crochet du propulseur était constitué par la queue relevée de l’animal. Mais ce crochet s’est brisé, et à l’époque, il a été réparé : une fente a été creusée dans le dos du mammouth pour y insérer un nouveau crochet. On ne connaît que deux propulseurs ornés d’un mammouth, celui de Montastruc et celui de la grotte de Canecaude (Aude). (fig. 6)

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Fig. 6 : propulseur de type 4 : le propulseur-mammouth de Montastruc (Magdalénien moyen)

Plantade possède un probable propulseur décoré d’un capriné. Seules les quatre pattes de l’animal subsistent. On peut le rapprocher des exemplaires connus dans les Pyrénées, qui représentent un jeune bouquetin dont la tête est tournée vers l’arrière. Comme les précédents, ces objets sculptés en ronde-bosse se rapportent au Magdalénien moyen.

Les harpons portent presque tous des incisions courbes sur leur fût ou leurs barbelures. On ne sait pas s’il s’agit de décors ou de dispositifs techniques, destinés à recevoir une substance vénéneuse. Mais certains portent également des motifs décoratifs tels que chevrons ou losanges. Un exemplaire de Fontalès est orné, sur le fût, d’un motif géométrique.

Les instruments domestiques

Contrairement aux armatures, les instruments et outils à usage domestique ne varient que très peu tout au long du Magdalénien (et même du Paléolithique supérieur). Les « ciseaux », sortes de coins destinés à détacher les baguettes des bois de renne après rainurage, sont rarement ornés. Un exemplaire de Fontalès porte un motif ovale semblable à un œil. Les poinçons sont également peu décorés. Un exemplaire de Plantade est sculpté en forme de sabot bisulque à une des ses extrémités.

Les lissoirs, destinés à aplatir les coutures ou les collages, sont quant à eux plus souvent ornés. Ils portent des motifs géométriques plus ou moins complexes et élaborés.

Les objets qui portent les décors les plus riches et les plus complexes sont les bâtons percés. Façonnés dans un bois de renne, ils portent une perforation à la jonction de la perche principale du bois et d’un andouiller, à l’endroit où le bois présente une plus grande largeur. Connus dès l’Aurignacien, ils sont très nombreux au Magdalénien. Mais leur usage reste inconnu.

Dans la vallée de l’Aveyron, on en compte une centaine, dont un tiers seulement est décoré. Leur longueur varie de 15 à 35 cm (fig. 7).

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Fig. 7 : bâton percé orné d’une tête de bovidé, abri de Fontalès (Magdalénien supérieur)

Les décors peuvent être sommaires, mais aussi très élaborés, et associer des motifs géométriques divers, ainsi que des motifs géométriques et des représentations animales (fig. 8). Plusieurs bâtons percés, à Lafaye et à Montastruc, sont sculptés en forme de phallus.

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Fig. 8 : fragment de bâton percé avec motifs associés : cheval, stries, croix, zigzags. Abri Lafaye

Les supports non utilitaires

Cette catégorie regroupe des objets décorés en os ou bois de renne, et des gravures sur pierre

On rencontre sur les sites de nombreux objet décorés qui n’ont aucun usage. Ce sont des objets d’art, au sens actuel du terme.

Les supports en matière animale sont variés : côtes ou omoplates d’herbivore, os d’oiseaux de grande taille (rapaces, cygne), ivoire de mammouth, fragments d’os divers.

Ils peuvent porter des décors très variés, géométriques ou figuratifs. Ils peuvent aussi, plus rarement, être sculptés en ronde-bosse. La sculpture en ronde-bosse se développe au Magdalénien moyen, et disparaît au Magdalénien supérieur. Elle est remplacée semble t-il par des gravures très fines, de très petites dimensions, véritables miniatures.

Tous les sites de la vallée de l’Aveyron ont livré des objets décorés non utilitaires. Dans certains sites comme Fontalès, le Courbet et Montastruc, ils sont particulièrement nombreux et de belle qualité artistique.

On peut citer quelques pièces remarquables : la « cuiller » de Fontalès, ornée d’animaux, les nombreux os (os d’oiseaux et fragments de côtes) finement gravés d’animaux du Courbet (fig. 9), l’omoplate de cheval de Plantade, gravée sur ses deux faces de rennes et de chevaux, les os gravés de Montastruc.

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Fig. 9 : os gravé d’une tête de cerf (grotte du Courbet)

D’autres objets portent des motifs géométriques extrêmement variés, très complexes parfois, qui montrent que l’imagination des Magdaléniens n’avait pas de limites.

Les sculptures en ronde-bosse sont plus rares. Les artistes magdaléniens étaient confrontés aux contraintes liées au volume et à la surface des supports : os, bois de renne, défense de mammouth. Ils ont toujours su non seulement les surmonter mais même en tirer parti.

Les plus beaux exemples viennent de Montastruc. Longtemps considérée à tort comme un propulseur, une baguette en bois de renne représente un cheval sautant l’obstacle (fig. 10). Le réalisme de l’attitude, l’exactitude des détails en font un des chefs d’œuvre absolus de l’art paléolithique.

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Fig.10 : baguette de bois de renne sculptée en forme de cheval sautant. Abri Montastruc (Magdalénien moyen)

Autre chef d’œuvre, les « rennes se suivant », sculptés dans la pointe d’une défense de mammouth. Toutes les faces des corps des animaux sont détaillées. Le génie du sculpteur lui a fait choisir l’attitude de la nage, où les têtes levées font reposer les bois sur les dos, tandis que les pattes sont regroupées sous les corps (fig. 11). Un os sculpté de Lafaye représente un animal indéterminé, qui semble inspiré, avec beaucoup moins de talent, de cette œuvre magistrale. A Fontalès, un petit os de renne a été travaillé de façon à lui donner la silhouette d’une femme.

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Fig. 11 : les « rennes nageant », sculpture sur ivoire de mammouth. Abri Montastruc (Magdalénien moyen)

Les « plaquettes » de pierre sont plus ou moins nombreuses selon les sites. Dès le Magdalénien inférieur, elles sont présentes à l’abri Gandil, qui en a donné 16 (Ladier dir., 2014).

Certaines montrent des animaux (cheval, biches, bouquetin). La plus grande, issue des niveaux inférieurs (vers 17 000 ans avant le présent) porte un décor complexe associant un cerf peint en noir et de multiples tracés, où se distinguent un bovidé acéphale, un renne, un oiseau et trois têtes humaines simplifiées (fig. 12).

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Fig. 12 : plaquette peinte et gravée, abri Gandil (Magdalénien inférieur). En vert, cerf peint en noir ; en rouge : renne ; en bleu : bovidé acéphale. On distingue également trois têtes humaines.

C’est actuellement l’œuvre d’art la plus ancienne du Magdalénien local. D’autres plaquettes, plus petite, représentent un cheval et des têtes de biche. Dans le niveau le plus récent (16 000 avant le présent), une plaquette porte une belle tête de bouquetin dans un lacis de tracés indéchiffrables.

Les plaquettes sont particulièrement présentes à Fontalès (une cinquantaine) et à Montastruc (une centaine), où leur qualité artistique est exceptionnelle. De nombreux exemplaires portent des représentations animales souvent enchevêtrées avec un lacis de tracés inorganisés. À Fontalès, on rencontre aussi des figures féminines très schématisées. Au Courbet, une plaquette et une lampe en calcaire portent également chacune une figure féminine schématique (Cook et Welté, 1992).

Les magdaléniens ont aussi sculpté la pierre. Une statuette féminine de la grotte du Courbet, dite « Vénus du Courbet », est la plus petite représentation féminine paléolithique connue à ce jour, avec 2, 5 cm de haut. Elle représente une femme aux fesses aux seins proéminents. La tête est présente et le visage esquissé, ce qui est exceptionnel au Magdalénien (Ladier, 1992) (fig.13).

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Fig. 13 : la « Vénus du Courbet », grotte du Courbet (Magdalénien moyen/supérieur)

Une statuette assez semblable, mais dépourvue de tête, se trouve à Montastruc. Enfin, des fragments de statuettes ont été découverts dans les niveaux inférieurs de Gandil.

Les parures

Les objets de parure sont nombreux dans le Magdalénien de la vallée de l’Aveyron, plusieurs centaines. Dans leur majorité, ce sont des dents d’animaux percées. Mais certaine d’entre elles, surtout des canines de cerf, sont gravées d’incisions profondes ou de croix. D’autres objets sont des pendeloques façonnées dans de l’os ou du bois de renne. Une belle pendeloque de Fontalès est ornée d’une tête de jeune bovidé.

Les rondelles, découpées dans des omoplates de renne, ne sont présentes qu’à Plantade et Montastruc. Les exemplaires connus sont tous ornés de motifs géométriques.

Les « contours découpés », objets connus principalement dans le Magdalénien moyen des Pyrénées, sont généralement des têtes animales (chevaux ou caprinés) façonnées dans des os hyoïdes de cheval. Un seul exemplaire n’est connu dans la vallée l’Aveyron, à Montastruc.

Bilan

On peut tracer un tableau général de l’art mobilier et de ses manifestations dans la vallée de l’Aveyron. Seul le Magdalénien est représenté, car les cultures antérieures n’y sont que peu ou pas laissé de vestiges.

-Présence de sculptures animalières en ronde-bosse, représentant des animaux entiers ou segmentaires, sous forme d’instruments (propulseurs, bâtons percés, poinçon) ou d’objets d’art mobiliers : on les rencontre à Courbet, Plantade, Lafaye et Montastruc. Considérés comme des marqueurs fiables du Magdalénien moyen, leur présence confirme l’existence de cette phase à la grotte du Courbet. Leur absence à Fontalès est conforme à l’attribution du site au Magdalénien supérieur exclusivement ;

-Présence de segments : des représentations animales réduites à un sabot bisulque se rencontrent à Plantade, sous la forme d’un poinçon et à Lafaye, à l’extrémité d’un bâton percé ;

-Bâtons percés phalliques : présents à Lafaye et à Montastruc, leurs décors sont très différents entre ces deux sites ;

-Présence d’animaux figurés en file : ce mode de représentation se rencontre à Fontalès, Courbet et Montastruc, et semble se cantonner au Magdalénien supérieur ;

-Présence de représentations féminines, plus ou moins schématisées, en ronde-bosse ou gravées ;

-Présence de plaquettes nombreuses : tous les sites ont livré des plaquettes, Fontalès et Montastruc en possèdent plusieurs dizaines, alors que les autres sites n’en ont que quelques exemplaires ;

-Variété extrême des motifs non figuratifs.

Les représentations figuratives sont majoritairement des animaux (une vingtaine d’espèces ou de familles reconnaissables), des femmes, et enfin des harpons (à Montastruc).

Les décors se rencontrent sur des supports très variés, armatures, objets utilitaires ou non en matière dure animale, plaquettes en schiste ou calcaire.

Chaque site se caractérise par une production qui lui est propre, tout en partagent des points communs avec un ou plusieurs autres sites.

Gandil est un peu à part, en raison de son attribution chronologique au Magdalénien inférieur. Les manifestations artistiques y sont rares, sauf sur les supports lithiques

Fontalès se caractérise par l’abondance des plaquettes gravées, soit de motifs animaliers clairement lisibles, soit au contraire d’un lacis de traits qui semblent masquer des représentations animalières ou féminines. Les représentations féminines schématiques y sont également bien présentes. Le répertoire des motifs non-figuratifs y est original, montrant peu de points communs avec les autres sites.

Au Courbet, les éléments les plus marquants sont des propulseurs ornés de têtes de chevaux en ronde-bosse (propulseurs de type 3), dont on retrouve un exemplaire à Lafaye.

Les décors d’animaux en file gravés sur côtes animales sont présents à Fontalès, au Courbet, et à Montastruc. Les représentations féminines sont présentes sous la forme d’une statuette en ronde-bosse et de représentations schématiques sur plaquettes. Les motifs non figuratifs y sont extrêmement variés, mais rarement communs avec les autres sites.

Plantade présente la variété la plus grande de motifs non-figuratifs, très peu d’espèces animales représentées, 3 seulement, et aucune représentation humaine.

Lafaye possède de nombreux bâtons percés ornés. Certains sont ornés d’un seul animal occupant toute la longueur du fût, caractère qui n’existe sur aucun des autres sites. La plupart de ces objets sont phalliques, qu’ils soient ornés ou non. Les motifs non figuratifs y sont également très nombreux, semblables souvent à ceux de Plantade. Ce site possède également un propulseur de type 3, semblable à ceux du Courbet.

Montastruc se caractérise par sa production artistique exceptionnelle attribuée au Magdalénien supérieur (gravures « miniatures »). Les œuvres du Magdalénien moyen y sont tout aussi remarquables : rondes-bosses animalières, rondelles, contour découpé. Les plaquettes y sont également très abondantes. Les décors non figuratifs y sont aussi très variés, mais sans beaucoup de points communs avec les autres sites.

Cette production trouve un écho à Lafaye, avec deux rondes-bosses, un animal incomplet sur os équivalent maladroit en os d’un des « rennes nageant » en ivoire de Montastruc et une tête de mustélidé probable sur bâton percé.

Montastruc et le Courbet présentent chacun une richesse intrinsèque liée à la grande variété de motifs non-figuratifs particuliers à chacun de ces sites.

La présence de motifs particuliers donne à ces deux sites une place un peu à part, puisqu’ils n’ont que peu de motifs non-figuratifs en commun avec les autres sites. La qualité et la quantité de leur art en ronde-bosse les distingue également. Chacun des deux partage un élément avec Lafaye : propulseurs se type 3 pour Le Courbet, représentations animales en ronde bosse pour Montastruc.

Les motifs figuratifs sont plus abondants et variés sur quatre des six sites, autour d’une quinzaine. Les sujets animaliers sont réduits à trois seulement à Plantade.

Dans l’ensemble, on constate de nombreux points communs entre certains sites, qui dessinent une sorte de réseau entre eux.

Malgré leur proximité géographique (ils sont distants de 100 mètres environ), Plantade et Lafaye présentent chacun une originalité propre, malgré quelques points communs, dont l’absence de représentations de cervidés, et de nombreux motifs non figuratifs communs. Le Magdalénien moyen se manifeste à Lafaye par la présence de modes de représentations caractéristiques, comme la ronde-bosse, alors qu’à Plantade il est bien marqué par la présence d’armatures spécifiques comme les baguettes demi-rondes et les sagaies de Lussac-Angles.

On peut penser que ce n’étaient pas les mêmes groupes qui fréquentaient les deux sites.

Les rondes-bosses sont plus élaborées à Montastruc qu’à Lafaye, ce qui appelle le même commentaire.

Conclusion

La vallée de l’Aveyron possède un panel complet des manifestations de l’art paléolithique. Le Paléolithique supérieur ancien est marqué par la présence de deux grottes ornées, alors que les sites d’habitat sont rares (deux principaux) et très pauvres en vestiges archéologiques.

Le Magdalénien quant à lui est particulièrement riche : une grotte ornée et six habitats majeurs. La grotte ornée présente un décor en bas-relief absolument unique dans tout l’art pariétal paléolithique.

Le survol rapide de l’art mobilier des ces six sites montre qu’ils ont des points communs, les reliant par une sorte de réseau, sans que l’on puisse mettre en évidence des liens exclusifs entre eux, ni même entre deux ou plusieurs d’entre eux. Cela suppose que les groupes qui ont fréquenté les habitats, appartenaient vraisemblablement à des horizons culturels différents.

Sur la foi des matières premières siliceuses identifiées dans les sites, la vallée de l’Aveyron apparait comme une zone de passage entre le Périgord et les Pyrénées (Morala 1989). La présence de certains types d’objets ou de décors renforce cette hypothèse.

La grande variabilité des manifestations artistiques, qui sont des marqueurs culturels forts, est contradictoire avec l’idée de considérer la vallée comme un « bassin de peuplement » constant et continu au Magdalénien, malgré son unité géographique et sa faible superficie.

Concernant les quatre sites de Bruniquel qui se succèdent sur une distance de 250 mètres, l’idée émise jusqu’au milieu du XXème siècle, d’une sorte de « village global » magdalénien où tous les sites auraient été occupés en même temps est à abandonner : la réalité semble beaucoup plus complexe et nuancée.

Bibliographie

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BREUIL, H. 1952. Les bas-reliefs de la Magdeleine à Penne (Tarn). C.-R. de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1952, p. 612-614.

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GARRIGOU, F., MARTIN, L., TRUTAT, E.1864. Fouilles pratiquées dans la Caverne de Bruniquel, Tarn-et-Garonne. Mém. Acad. Sc. Inscr. B. Lettres Toulouse, 1864, 6° série, 2, p. 422-423.

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