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   « Cent parlars que ne fan qu’un… » ou cent dialectes pouvant se réduire à une seule langue… comme le proclamait Antonin Perbosc vers 1900 ; encore fallait-il remonter aux sources pour cela :  La Canso des Troubadours du XIème au XIVème siècle, les chartes de coutumes et les leudaires, des traités scientifiques, ou encore les cahiers de comptes des frères Bonis, ces marchands montalbanais du XIVème siècle… La langue d’oc, orale ou écrite, n’a cessé d’être présente, intensément, même après l’édit de Villers-Cotterêts de 1539 érigeant le français en langue officielle, ou encore après que la Révolution n’ait voulu la reléguer à l’état de "patois".

Antonin Perbosc

   Un mouvement littéraire avait pris naissance en 1323 avec la "Sobregaya companhia dels VII Trobadors de Tolosa", plus connue sous le nom de "Consistoire du Gay Savoir". Il s’agit de la plus ancienne Compagnie littéraire d’Europe qui deviendra en 1694 "Académie des Jeux Floraux" de Toulouse. Parmi les participants, on trouve Ramon Cornet, originaire de Saint-Antonin vers 1300, qui est la « plus curieuse figure du XIVème siècle », selon René Nelli. Il participe à la création du collège du "Gai Saber" à Toulouse et tient un registre des Jeux Floraux. Il y a aussi Pèire de Lunel, sans doute originaire de Corbarieu, connu sous le nom de Cavalier Lunel de Montech, et pouvant être identifié comme l’un des sept mainteneurs des Jeux Floraux de Toulouse en 1355. On lui attribue une rédaction des Leys d’Amors, premier traité de grammaire qui codifie la chanson d’amor, la fin’amor. La langue d’oc connaîtra par la suite ses vicissitudes et, après des périodes de calme littéraire, des renaissances surgiront : provençale, gasconne et toulousaine au XVIème siècle, puis celle du milieu du XIXème siècle avec la création du Félibrige  par Mistral, en 1854. A la suite de ce renouveau et du succès populaire, dès 1830, du poète-perruquier d’Agen, Jasmin (Jansemin), ils seront sept à fonder l’"Escolo Carsinolo" le 10 novembre 1895, parmi lesquels : Lacombe, Castela, Quercy, Perbosc… D’autres poètes-ouvriers, notables, instituteurs, curés, loueront le plus souvent leur environnement immédiat, souvent sous la forme d’hymnes devenus populaires dont l’exemple est "La Mountalbaneso". Il faudra attendre le XXème siècle pour que se dessine un mouvement occitaniste, avec une floraison de publications et de manifestations d’envergure, orchestrées le plus souvent par l’Institut d’Etudes Occitans né en 1944, succédant à la Société d’Etudes Occitanes et reprenant sa devise : « La fe sens òbras mòrta es » (« La foi qui n’a pas d’œuvres est morte »). L’emprunt à la Bible de cette formule, on la doit à Perbosc qui a su la mettre en pratique, à en juger par l’importance de sa création poétique qu’il publie dans une graphie restaurée, calquée sur celle des Troubadours, et quelque peu améliorée aujourd’hui.

   Règles de lecture : pour prononcer [ o ] on écrit « ò » ; le « o » se prononce comme [ ou ] en français ; le « e » comme un [ é ] et le « v » comme un [ b ] ; le « nh » comme [ gn ] et le « lh » comme « lieu » ; le « u » reste comme [ u ] et le « a » en finale devient [ o ] faible ; les « n » et « r » en finale sont quasi-muets. Les accents aigus marquent l’intonation. Ne pas oublier de diphtonguer les « ai », « ei », « òi », « au »,  « eu », « òu »...

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Des écrivains occitans de Tarn-et-Garonne

MARCABRUN [Auvillar, XIIème s.], troubadour

Marcabru 2

Originaire, semble-t-il, de la région d’Auvillar où il est connu, de 1130 à 1150. De son premier nom Pain-Perdu, c’est le protégé des grandes cours d’Aquitaine, de Castille, de Catalogne et du Portugal. Partout, il est très renommé, écouté et redouté : ses vers satiriques, dénonçant les excès des mœurs décadentes constituent l’essentiel de ses chansons au trobar clus ( poésie hermétique au premier abord). Il est dit qu’il fut si médisant que des châtelains de Guyenne le tuèrent…

« Qu’amors es plena d’engan peraver se vai camjan... amors que vai mercadan diables le coman. »
« Car amour est plein de tromperie pour de l’argent il va changeant… amour qui devient une marchandise au diable je le recommande. 

Raymun JORDA [Saint-Antonin, v. 1150, † v. 1200]

Raymun JORDA   Né vers 1150, dans un premier temps, il chante son amour pour la dame du seigneur de Penne d’Albigeois. Elle, apprenant qu’il s’est blessé au cours d’une bataille, se réfugie chez des Parfaites ( Cathares). Mais une fois remis, le vicomte connaît une autre aventure en Limousin avec Elis de Turenne auprès de qui il compose avec talent, en cette fin de XIIème siècle. On lui doit une douzaine de poésies où peut se rencontrer l’ardente flamme amoureuse :

« Ryamun Jorda fo vescom de Sant Antoni, senher d’un ric borc qu’es en Caersi ; e fon avinens e larcs e bos d’armas, e saup trobar e ben entendre. »

Ainsi débute sa Vida. ( « Raimon Jordan fut vicomte de Saint-Antonin, seigneur d’un riche bourg qui se trouve en Quercy ; il fut agréable, généreux, adroit aux armes et il sut « trouver » et bien imaginer. »)

« E ieu non puesc senes amor estar E ai segur aital fat tota ora. Amoros soi e amoros serai E consoc ben que per amor morrai. »
« Je ne peux vivre sans amour Et toujours j’ai eu le même sort. Je suis amoureux et le resterai Et sais que par amour mourrai. »

Guilhem de TUDELA [Tudela (Navarre), fin XIIème s., † Saint-Antonin, début XIIIème s.]

   Ce moine de Navarre, arrive à Montauban en 1199 et sert Baudoin, frère de Ramon VI, comte de Toulouse, qui le fera nommer chanoine de Saint-Antonin. Il choisit le camp des Croisés pour écrire les 2772 premiers vers de la Chanson de la Croisade albigeoise, depuis 1209 jusqu’à la bataille décisive de Muret en 1213.

La Canso débute ainsi :

« Al nom del payre e del filh, e del sant esperi Comèsa la canson q maestre .W. fit… »

traduite ainsi par Henri Gougaud :

« Au nom du Père Dieu, du Fils, du Saint-Esprit, Ainsi s’ouvre le Chant que fit maître Guillaume. A Tudèle, en Navarre, il grandit, devint clerc, Puis vint à Montauban, comme dira le livre… »

Ramon de DURFORT [fin XIIème † début XIIIème]

   Il est connu pour être l’auteur d’un curieux sirventes qui se distingue de la canso par le ton satirique qui anime ses vers desquels amour et courtoisie sont le plus souvent exclus. Chez Ramon de Durfort, le sujet, plein d’humour et de malice est un des rares exemples de poésie « joyeuse » et plaisante, écrite dans un pur jeu littéraire. Il compose des vers pour une dame. Peut-être s’agit-il de l’épouse de Guilhem de Beauville, seigneur d’Agrimont (actuellement Gramont, près d’Auvillar). A Ramon de Durfort l’on associe Turc Malec, du moins sont-ils présentés ainsi dans La vie des Troubadours, textes réunis et traduits par Margarita Egan :

« Raimon de Durfort e-N Turc Malec si foron dui cavallier de Caersi que feiron los sirventes de la domna que ac nom ma domna N’Aia, aquelle que dis al cavallier de Cornil qu’ele no l’amaria si el no la cornava el cu. »
« Raymond de Durfort et Turc Malec furent deux chevaliers du Quercy qui composèrent des sirventes à propos d’une dame qui avait nom madame Aia, celle qui a dit au chevalier de Cornil qu’elle ne l’aimerait point, à moins qu’il ne lui corne au… derrière. »

Pèire de LUNEL  [début XIVème s.]

   Sans doute originaire de Corbarieu, il est connu sous le nom de "Cavalier Lunel de Montech" et peut être identifié comme l’un des sept mainteneurs des Jeux Floraux de Toulouse en 1355. On lui attribue une rédaction des Leys d’Amors, premier traité de grammaire. Sa première poésie connue a pour titre L’Ensenhamen del Guarso (1326), intéressante pour ses détails sur les mœurs seigneuriales. Une autre pièce renseigne sur l’invasion de la peste noire, en l’hiver 1348-1349 se termine par ces quatre vers traduits ainsi par Edouard Forestié) :

« Lo tems es mals e fort deshordenatz En tot lo mon a granda pauretatz ; Mas preguam totz lo senhor poderos Que no [re]temps nostras defailhizos. »
« Le temps est mauvais et fort désordonné Dans tout le monde il y a grande pauvreté ; Mais prions tous le Seigneur tout-puissant Qu’il oublie… ? nos défaillances. »

Augèr GAILHARD  [Rabastens-sur-Tarn (Tarn), vers 1530 † Pau (Pyrénées-Atlantiques), vers 1595]

   Il naît dans une famille de charrons, et pour cela se fait connaître sous le surnom de 'rodièr de Rabastens'. Après des études chez les Franciscains, il se défroque alors qu’il a une trentaine d’années, et rejoint les armées protestantes avant de se fixer à Montauban entre 1575 et 1580 où il publie ses Obras (1579), son Libre gras (1581) et son livre majeur Lo Banquet (1583). En 1589, il quitte la " Genève du Midi " pour le Béarn ; il meurt à Pau en 1595. Son style plein d’humour vaut par tous les détails de la vie quotidienne, même s’il est parfois délicat de déceler le vrai. Sa langue d’oc prévaut sur ses quelques écrits en français, dit-il :

« Mas en francés ieu n’i sabi pas gaire Milhor parli la lenga de mon paire. »
« Mais du français je n’en sais guère Je parle mieux la langue de mon père. »

Joan de VALES  [Montech, 1593 † Montech, 28.06.1661]

   Fils de notaire, ce prêtre obituaire vit de ses maigres rentes. Il est cependant reconnu pour son œuvre poétique, comique et populaire, Virgilo deguisat o l’Eneïdo burlesco publiée en 1648. Il s’agit d’une parodie burlesque de l’Enéide transposée en pays « mondin » (ce diminutif de « ramondin », issu des comtes Raymond, désigne le Toulousain, cher à Goudouli, autre poète de l’époque). On lui doit aussi une Pastouralo qui conte l’histoire

« d’un paure pastre malurós per èstre estat tròp amorós. »
« d’un pauvre berger malheureux d’avoir été trop amoureux. »

Bernat de SENT-SALVI [Beaumont-de-Lomagne,1741 † Beaumont-de-Lomagne,1792]

   N’ayant cessé d’appartenir à la noblesse (de Saint-Jean étant son vrai nom), son pseudonyme lui permet de s’exprimer de manière authentique, aussi bien en éclats de voix qu’en utilisant le dialecte lomagnol de la langue orale. Une publication posthume Bèrsis Beoumontouèsis paraît vers 1835 et Perbosc loue le ton vivant de ce « hardi satyrique » dont voici, par exemple, un titre révélateur :

« Harenguo au poble de Beoumount de Loumagno e uno cansou en roundo prounounçado, pou prumè cop, le jour de la balocho, le 15 d’agoust 1773 »
« Harangue au peuple de Beaumont-de-Lomagne et une chanson en ronde prononcée, pour la première fois, le jour de la fête, le 15 août 1773 »

Jean-Bernard-Marie LAFON dit MARY-LAFON [Lafrançaise, 26.05.1810 † Montauban, 24.06.1884]

   Historien avant tout, il a passé la plus grande partie de sa vie entre Paris et l’étranger. Il est connu pour son Tableau historique de la langue parlée dans le Midi de la France (1840) et surtout pour son Histoire politique, littéraire et religieuse du Midi de la France (1844), ainsi qu’une traduction de La Croisade contre les Albigeois (1868). Ajoutons à cela romans, pièces de théâtre, essais, poésies, etc. qui font de lui « lo vièl garric montalbanés » (« le vieux chêne montalbanais » ) selon Augustin Quercy, tellement vivace est sa " Lenga del brèç " :

« Flors e frucha, tot foguèt pres Dins l’òrt del parlatge francés, Mès lo dels camps, de la velhada Dins lo còr sachèri gardar, Perqué la lenga tant aimada Qu’ambe lo lach avèm popada Se pòt pas jamai doblidar. »
« Fleurs et fruits, tout fut pris Dans le jardin du parler français, Mais celui des champs, de la veillée Dans le cœur j’ai su garder, Parce que la langue tant aimée Qu’avec le lait nous avons tétée On ne peut jamais l’oublier. »

Josèp-Ipolita LACOMBA  [Caussade, 25.10.1821 † Caussade, 25.01.1900]

   Ce poète-menuisier voyage en Europe et parvient à installer un magasin de faïences. Il a l’initiative de fonder en 1885 une section de félibres qui sera un premier début de L’Escolo Carsinolo. Avec son livre Las Lambruscas de la lenga d’Aquitanio (Grapilles de la langue d’Aquitaine) et La Caussadenca (La Caussadaise), il devient le chantre de sa bonne ville où hommage lui est rendu en 1908.

« Salut ! Salut ! Salut mon bèl Caussada, Salut a tu, brèç de mos prumièrs ans ! Mercé, mercé! tanben aquesta aubada, A ton aunor per ton filh es cantada Per mon tribut, iò t’ofrissi mos cants. »
« Salut ! Salut ! Salut mon beau Caussade, Salut à toi, berceau de mes premières années ! Merci, merci ! aussi cette aubade En ton honneur par ton fils est chantée Comme tribut, moi je t’offre mes chants. »

Léon CLADEL  [Montauban, 15.03.1835 † Sèvres (Hauts-de-Seine), 20.07.1892]

   Ce fils de bourrelier part à Paris comme clerc d’avoué, mais il consacre sa vie à l’écriture. Un retour en Quercy va lui révéler son identité et il se plaira à peindre les mœurs de son pays en prenant la défense des petites gens, d’où son surnom de "rural écarlate" donné par Barbey d’Aurevilly. Son premier roman régionaliste intitulé Le Bouscassié (1869), qui a pour cadre les coteaux du Quercy, fait intervenir plusieurs idiomes de la langue d’oc et Cladel récidive avec les suivants. Montauban commémorera par des fêtes le centenaire de sa naissance, tandis que dans un recueil de Poésies posthume de 1936, dû à la diligence de Perbosc, on trouve un dernier sonnet en occitan, d’hommage au félibre rouge Auguste Fourès :

« O trobaire, amic, ara as clucat l’uèlh Al lum del solelh e de las estelas. Tot s’escantis pas al fons del tombèl ;Tas òbras viuràn, - immortalas, elas. »
« O poète, ami, ores tu as clos les yeux A la lumière du soleil et des étoiles. Tout ne s’éteint pas au fond du tombeau ; tes œuvres vivront, - immortelles, elles. »

Joan CASTELA [Albefeuille-Lagarde, 25.09.1828 † Piquecos, 19.03.1907]

   Ce poète est meunier, puis instituteur. Au tic-tac de la meule de Loubéjac, il donne sa fine fleur de farine : Mous Farinals (1850). Il décrit le décor environnant ainsi que les événements marquants. Son nom reste associé à la fondation de L’Escolo Carsinolo et ce félibre reçoit les compliments de Mistral, ainsi qu’un bel hommage de Perbosc. Il est vrai que sa poésie est agréable à l’oreille et comporte un caractère jovial fort apprécié. Sa traduction des fables de La Fontaine en sont une autre preuve : Cent fablos de La Fountèno (1891). On peut lire son épitaphe sur une plaque de sa maison, à côté du moulin de Loubéjac :

« Aici visquèt Joan Castelà Lo rimalhaire de bricòla Qu’al tica-taca de la mòla D’escriure volguèt s’esmalhar »
« Ici vécut Jean Castela le rimailleur d’occasion qui au tic-tac de la meule d’écrire voulut se soucier. »

Joan-Adrian PAGES  [Saint-Antonin, 15.02.1839 † Saint-Antonin, 1908]

   Cet instituteur exilé à Paris est l’auteur de nombreuses pièces relatives à l’éducation, et d’autres destinées aux enfants, comme Sentiers verts et prés fleuris (1889). De son abondante production littéraire, on retiendra le recueil de poésies Cot’ de floïtos e cot’ d’estuflols (1880) (Coups de flûtes et coups de sifflets) qu’il dédie à l’Union amicale de Tarn-et-Garonne dans la capitale :

« al Païs qu’ai quitat desempuèi vint e cinc ans e qu’ai pas brica oblidat » (« au Pays que j’ai quitté depuis vingt-cinq ans et que je n’ai pas du tout oublié »). Une fête commémorative lui sera dédiée à Saint-Antonin en 1909.
« Salut, Sent-Antonin ! vila demantelada Per Montfòrt, Loís tretze e tos vesins armats. Fasque un galhard solelh amadurar tos blats E bofir tos rasims una fresca rosada. »
« Salut, Saint-Antonin ! ville démantelée Par Montfort, Louis XIII et tes voisins armés. Puisse un soleil gaillard faire mûrir tes blés Et une fraîche rosée gonfler tes raisins. »

Basili CASSAGNAU  [Lamothe-Cumont, 27.05.1821 † Beaumont-de-Lomagne, 1.12.1904]

   

Félibre gascon très connu, il n’a jamais quitté sa Lomagne natale. Ses poésies satiriques brossent des portraits savoureux de ses rivaux professionnels : charlatans et rebouteux. Ce médecin de campagne a produit une œuvre poétique rassemblée dans le recueil unique regroupant des genres très diversifiés : Fantesios e loisirs d’un médecin de la Lomagna  (Fantaisies et loisirs d’un médecin de la Lomagne) (1856) :

« Atau passi mon temps, atuajo canturlegi, Nat cabestre, jamès, m’a pas pelat le còth… Chiular quand me plai, b’es plan tot çò qu’envegi, Prumèr que de quistar, me passi de fricòt… »
« Ainsi je passe mon temps, ainsi je chantonne, Jamais aucun licou ne m’a pelé le cou… Piailler quand me plaît, c’est bien tout ce que j’envie, Plutôt que de quêter, je me passe de denrées… »

Augustin QUERCY  [Lafrançaise, 04.06.1853 † Montauban, 25.01.1899]

   Il tient un magasin de confection à Montauban lorsqu’il devient le « capiscol » de L’Escolo Carsinolo, en 1895. Lors de l’inauguration de son buste, en 1911, son ami intime Antoine Bourdelle prononce son discours « Hommage à un Félibre ». Son oeuvre poétique, populaire pour ses risèios, et paruedans Le Quercy, est publiée dans un recueil posthume « Camrosos carcinolos » publié en 1911. On y trouve une grande variété de pièces telles que La cavalcada de Mountalba, Mountalba a visto de nas, La fièra de julhet o la glorificacion de l’ase… où se révèle la forte présence de sa ville natale : " Mount-Alba ",un hymne, différent de celui d’Armand Saintis :

« O, Mount-Alba, nostro biloto Airado, cando, poulidoto, L’abèn aimado e l’aimaren ; I sèn nascuts, I mouriren. »
« Ô Montauban, notre petite ville Propre, bien jolie, où l’air est bon, Nous l’avons aimée et l’aimerons ; Nous y sommes nés, nous y mourrons. »

   Son amour pour la lenga nòstra est évident :

« O ma lenga adorada Nobla paraula dels arrièrs, Quand dabans tu tot se barrèsse Se trobavas enlòc abric ni retirada Dins mon còr afogat auràs totjorn un brèç! »
« O ma langue adorée, Noble parole des anciens, Quand bien même devant toi tout se fermât, Si tu ne trouvais nulle part abri ni asile, Mon cœur enflammé sera toujours ton berceau.»

Etienne PARIZOT  [Lafrançaise, 27.02.1857 † Caussade, 10.12.1919]

   Après un long séjour en Espagne, cet abbé polyglotte semble être le créateur du théâtre paysan bilingue. Ses Saynètes quercynoises & Farços carcinolos (1907) sont les précurseurs de celles du chanoine Anglas et de Frédéric Cayrou, telle cette scène :

Al lavador

«- Cala-te, me fa mal d’entendre parlar una filha d’aquela faiçon. - E a iò me fa ben !... »
« Au lavoir - Tais-toi, ça me fait mal d’entendre parler une fille de cette façon. - Et à moi, ça me fait du bien !... »

Jean BELAYGUE  [Bruniquel, 14.01.1861 † Bruniquel, 6.08.1930]

   Carrier de son métier, ce félibre se plaît à déclamer ses vers à l’occasion des inaugurations des monuments aux morts qu’il a sculptés (plus d’une trentaine), comme à Bruniquel, sur lequel il a ciselé ce quatrain :

« Sus aquel monument ont ton uèlh s’escarquilha, Passan i legiràs lo nom de ta familha Qu’a de son sang pagat de la França ‘n talhon Que per el’ a donat çò qu’aviá de melhor. »
« Sur ce monument où ton œil s’écarquille, Passant tu y liras le nom de ta famille Qui a de son sang payé de la France un morceau Qui pour elle a donné ce qu’elle avait de meilleur. »

Antonin PERBOSC  [Labarthe-en-Quercy, 25.10.1861 † Montauban, 06.08.1944]

« Fondator de l’occitanisme / Poèta e reformator de la lenga d’òc / Pedagògue - etnografe - bibliotecari / Majoral del Fel
telle est l’inscription qui figure à l’entrée de la bibliothèque municipale de Montauban où il exerce de 1912 à 1932. Né en plein
"campèstre", il garde vivant le parler de son terroir et le complète au cours de ses nominations d’instituteur, en faisant recueillir par ses élèves toute la tradition orale : contes, proverbes, devinettes, mimologismes, etc. Il fonde ainsi à Comberouger une Société traditionniste, la première du genre, tout comme il incite à la création d’écoles dont l’Escolo Carsinolo. Sa création poétique est vaste et variée depuis Lo gòt occitan (La coupe occitane) de 1903 jusqu’aux Libres dels auzèls (1930) ou ses Fablèls. Il est à la base d’une réflexion sur Les langues de France à l’école (1926) et à l’origine de la restauration de la langue d’oc. On doit à l’Institut d’Estudis Occitans l’édition posthume du Libre del campèstre (1970) dans lequel se trouve cette Cançon :
« Vòli dire una cançon qu’en mon còr fa florison. Per mon mèstre, dusca a mon darrièr moment, vòli prendre solament lo Campèstre. »
« Je veux dire une chanson Qui naît en mon cœur. Pour seul maître, jusqu’à mon dernier instant, je ne veux prendre que la Nature. » (30-5-1895)

Louis ALLANCHE  [Albias, 29.05.1868 † Moissac, 4.05.1943]

   Professeur d’anglais au collège, il est surtout spécialiste de la langue d’oc et préside la Cloucado dels Clastres de Moissac. Il publie de nombreux poèmes ainsi que ses Eléments de grammaire du dialecte quercynol des environs de Moissac et de Montauban suivis de proverbes et de dictons (1941) :

« Aprèp la sopa un còp de vin Pana un escut al medecin. »
« Qun se grata ont se prus Fa pas tòrt a deguns. »
« Après la soupe un coup de vin Vole un écu au médecin. »
« Qui se gratte où ça le démange Ne fait de tort à personne. »

Ernest PEFOURQUE [Montauban, 9.11.1875 † Montauban, 17.07.1959]

   Gloire de l’Escolo Carsinolo, ce chantre du pays montalbanais est connu pour son recueil de poésies intitulé L’espelido. Un hommage y est rendu aux félibres, aux paysans, à la nature, à la vie champêtre et au livre :

Lou Libre (En inouguren uno bibliotèco à Gasseras)

« Lou libre es à l’esprit Ço que lou pa es al cos ! »
« Le livre est à l’esprit Ce que le pain est au corps ! »

Ces thèmes seront repris dans un autre recueil, publié dans les années 1940 : Mas Segazous (Mes Moissons).

« De soun utis pesuc, sa plumo dé très brens Destripo lou selhou dé sas tarriblos dens. » (Lou Foutsaïre)
« De son outil pesant, sa plume à trois becs Etripe le sillon de ses terribles dents. » (Le Bêcheur)

Joseph ROUZOUL [Ax-les-Thermes (Ariège) † 24.04.1875 ; Montauban 12.11.1955]

   Après des débuts dans le journalisme, il est blessé à Verdun en 1916, puis devient cadre de l’armée polonaise en France. Rendu à la vie civile, il se fixe à Montauban, devient secrétaire des séances de « sa chère Académie ». Ses  « Glanes sur le Tarn-et-Garonne » révèlent les diverses facettes du département et ses Amos terradourencos traduisent l’amour du terroir, mêlé à des souvenirs de dictons et chansons, tels que :

« Lou galan de la Catin A pourtat numéro cinq. Mès s’abio pourtat plus fort Sario pas toumbat al sort !… »
« Le galant de la Catherine A porté le numéro cinq Mais s’il avait porté plus fort Il ne serait pas tombé au sort !… »

Joseph ANGLAS  [Réalville, 28.05.1885 † Montauban, 1.11.1945]

   Curé de Villenouvelle, il a été terrassé en plein cimetière de Montauban le jour de la Toussaint. Au contact du peuple et de la campagne, il a composé des vers en langue d’oc. Elu à l’Académie de Montauban, il laisse quelques pièces de théâtre écrites dans une langue savoureuse, encore jouées aujourd’hui : Lou Pot graissièr, Lous Becudèls (Les Pois chiches).


Frédéric CAYROU  [Saint-Martin de Belcassé, 27.08.1879 † Montpezat-de-Quercy, 24.06.1958]

   Ce sénateur du Tarn & Garonne présente aussi l’image familière de l’amuseur public. Vétérinaire de sa profession, installé à Montauban, il contribue à la remonte de la cavalerie française dès 1914 et son séjour outre-atlantique lui inspire son roman Lo voiatge del Catèt de Macaturras en America (1930). Mais il est surtout populaire pour ses pièces de théâtre, au comique produit par des jeux de mots fondés sur le bilinguisme, et par le bon sens paysan raillant l’administration :

« Las causas se pòdon pas dire sens parlar... » (« Les choses ne peuvent pas se dire sans parler... ») Parmi ses recueils de poèmes, Mon Gabelat (Ma gerbe de blé) contient son credo :
« De totes los parlars, de totes los lengatges, Lo sol que deu gardar totjorn nòstras amors Es lo qu’avèm popat quand èrem de mainatges... »
« De tous les parlers, de tous les langages, Le seul que doit toujours garder nos amours C’est celui que nous avons tété enfants... », daté d'Oklahoma City (U.S.A.), décembre 1914

Armand CHANUC [Bourg-de-Visa, 27-12-1880 † Bourg-de-Visa, 16-01-1966]

   Cet excellent conteur, modeste et réservé, est resté fidèle aux traditions de son terroir. Doué d’une extrême sensibilité, Armand Chanuc a laissé plusieurs œuvres en occitan, couronnées à plusieurs reprises du « Jasmin d’argent ». En 1934, c’est « Lou Poutou » (Le baiser) qui, mis en musique par Labatut, lui vaut la renommée. Et le Jasmin d’argent lui est remis à nouveau en 1936, en 1948, en 1956 pour « Pitiouno Mama » et en 1957 pour « Al Clar de la Luno, (vieilho cansou) ». En 1950, il publie un « sketch », « Dus biels Filosofos », puis ce sera un recueil humoristique intitulé « Haro sur le cafard ».

« Pichona Maman, quand èri mainatge, Lo jorn e la nuèit m’avètz plan breçat. Me disiatz : Anem, te cal èstre satge, Dòrm, mon enfanton, mon pichon gojat. E quand ma perpelha èra plan clucada, Que vesiatz, enfin, la som arribada, Partiatz en me fan adiu de la man Pichona Maman. »
« Petite Maman, quand j’étais enfant, Le jour et la nuit vous m’avez bien bercé. Vous me disiez : Allons, il te faut être sage, Dors, mon petit enfant, mon petit garçon. Et quand ma paupière était bien fermée, Que vous voyiez, enfin, le sommeil arrivé, Vous partiez en me faisant adieu de la main Petite Maman. »

Pierre GARDES [Montagnac (Hérault), 31.05.1902 † Montauban, 18.12.1995]

      Son père, le félibre-conteur Louis Gardes, et le chasselas de Moissac sont présents dans son oeuvre :

« A la glòria del rasim d’òr : A mon paire, aquelas lambruscas de ma trelha.. » (« A la gloire du raisin d’or : A mon père, ces grappillons de ma treille. »)
Il écrit des pièces de théâtre telles Jaffard (1928) ou Camparòl (1939), comédie régionaliste bilingue, et surtout des recueils de poésies : Al bòrd de Tarn (1937), Ombras e clarors (1952) et A cadun sa cançon (1961). Vice-président de l’Académie de Montauban et « capiscol » de l’Escolo Carsinolo, il crée le Musée du Terroir à Montauban où l’image des sabots peut être retenue :
Mos esclòps (Mes sabots)
« A! los braves esclòps que clapan pel campèstre... De l’alba a solelh colc, quitaràn pas lo mèstre, L’acompanhan a cada pas. »
« Ah ! les braves sabots qui claquent dans les champs... De l’aube au soleil couchant, ils ne quitteront pas le maître, Ils l’accompagnent à chaque pas. »

Félix CASTAN [Labastide-Murat (Lot), 1er.07.1920 † Montauban, 21.01.2001]

   Il passe sa jeunesse à Moissac et Montauban avant de s’exiler à Paris pour “faire khâgne”. Une maladie le ramène à Montauban où il enseignera et prendra une part active à la vie culturelle jusqu’à sa mort. Il donne un éclairage nouveau sur Perbosc qui contribue à montrer la modernité de sa pensée, tout comme il le fera pour Olympe de Gouges. Sa vision de l’art baroque le fonde à créer le Centre international de Synthèse du Baroque en 1963, en plus du Festival d’Occitanie qu’il a installé en 1956. Car son combat est celui pour la reconnaissance des identités visant à une décentralisation culturelle : sa Mòstra du Larzac en est le témoignage vivant. Animateur de la revue OC et de l’Institut d’Estudis Occitans depuis sa création, il publie de nombreux ouvrages, allant de la Décentralisation occitaniste (1973) à la Jeunesse des Troubadours (1996), par exemple. On retiendra la modernité de ses recueils de poésie occitane De campèstre, d’amor e de guèrra (1951), Jorn (1972), tout comme cette apostrophe qui débute Le Vouloir d’une ville (1999) :

   Totes d’erètges ! (Tous des hérétiques !)

« Montalbaneses amics, reviratz-vos al tòc d’aqueles classes poetics ! Sèm davalats enjós dels infèrns erètges, per vos portar als pòts la flor que canta.»
« Montalbanais amis, retournez-vous au son de ces glas poétiques ! Nous sommes descendus en-dessous des enfers hérétiques, Pour porter à vos lèvres la fleur qui chante.
(Le Vouloir d'une Ville - Cocagne, 1999)
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 Nadal REY [Lévignac-sur-Save (Haute-Garonne), 23-12-1911 † Salses (Pyrénées-Orientales), 20-11-2016]

Rey Nadal Camins

   Après l'Ecole Normale de Toulouse en 1931, il rejoint l’ E.N.S.E.T. (Ecole Normale Supérieure de l’Enseignement Technique) de Paris, puis la Faculté de Lettres de Madrid en 1933, pour être nommé professeur d’espagnol. En  1934, jeune marié, il enseigne à Grenoble, aux classes préparatoires aux Arts & Métiers, mais en 1939, la guerre arrivant, il est envoyé en Afrique : épisode narré dans le Bataillon perdu, titre d’un de ses nombreux ouvrages. C’est au Maroc qu’il passera la majeure partie de sa carrière (22 ans) comme professeur d’espagnol, puis censeur. En 1973, l’âge de la retraite le fera revenir à Lavilledieu.On connaît Nadal écrivain : « Ecrire c’est participer à la vie », disait-il. Les titres de ses ouvrages : Camins, L’Esclarida, La Canta de l’amor. … traduisent l’amour de sa langue maternelle, languedocienne par son père et gasconne par sa mère. Parmi les associations qui le comptent à son actif, la nôtre a connu son implication avec la naissance des cours d’occitan. Ceux qui ont pu bénéficier de son expérience saluent à la fois son talent de pédagogue et l’étendue de sa culture. Il était devenu le dénominateur commun du département pour tout ce qui touche à la civilisation occitane.   Soucieux  d’établir des relations intergénérationnelles, il a créé, voilà vingt ans, le prix qui porte son nom, occasion donnée aux écoliers des sections bilingues d’échanger avec les aînés, sous la forme de productions écrites et dites. Nous ne pouvons que louer son investissement sans relâche au but recherché : par la langue, restituer la sagesse du peuple en l’élevant au niveau le plus haut.  Aussi  emprunterons-nous à son mentor, Fernand Barrué, l’un de ses vers en le dédiant à Nadal : « Dròm urós s’un amic encara se soven. » (Dors heureux puisqu’un ami encore se souvient.)