BUSTE D'OLYMPE DE GOUGES A L'ASSEMBLEE NATIONALE
Olympe de Gouges dans la tourmente révolutionnaire
Parole de citoyenne
par Geneviève André-Acquier (avril 2009)
Condorcet rédige son célèbre Tableau des progrès de l’esprit humain alors même qu’il se sait menacé de la guillotine, lui qui disait au moment de son entrée à l’Académie française (en février 1782) : « Il n’est plus au pouvoir des hommes d’éteindre le flambeau allumé par le génie et une révolution dans le globe pourrait seule y ramener les ténèbres. »
Ombres et lumières de la Révolution française, portée par ce rêve d’émancipation et de justice qu’ont inspiré nos philosophes, rêve d’un monde en marche et à portée de l’homme, dont les événements de 89 ont d’abord paru l’accomplissement, et qui sombra dans la Terreur.
Il n’est période plus propice à l’observation du concept de progrès que celle où l’idée fut aux prises avec la réalité, sur le point de devenir lois et conditions de vie. La Terreur ? un démenti, peut-être. Un démenti provisoire, laisse penser Victor Hugo au terme de son Quatre-vingt-treize. Le concept perdure en effet. On en voit aujourd’hui encore les effets. S’il faut entendre « progrès » comme la certitude d’un nouvel âge d’or, de bonheur et de liberté, l’époque actuelle semble avoir perdu ces illusions. Mais les idéaux des Lumières président toujours à l’organisation et aux mouvements de nos sociétés et, que nous en ayons conscience ou non, informent notre pensée. La filiation est plus sensible encore en temps de crise comme celui que nous traversons.
Or, l’Histoire n’a livré ses enseignements qu’après avoir épuisé les figures héroïques, lorsqu’elle s’intéresse à ses oubliés. Tel est le personnage d’Olympe de Gouges qui, témoin privilégié et actif de ces événements, s’affirme peu à peu, deux siècles plus tard, en raison de convergences qui apparaissent avec l’époque contemporaine. Olympe de Gouges, ardente avocate du progrès social en est aussi l’exemple vivant, dans son évolution personnelle, dans ses combats, dans ses renoncements, jusque dans sa destinée : le 3 novembre 1793, à l’âge de quarante-cinq ans, ayant refusé de faire contre sa conscience des aveux qui lui auraient peut-être sauvé la vie, elle monte sur l’échafaud, quelques jours après Marie-Antoinette, première femme victime de ses opinions.
L’intérêt qu’Olympe de Gouges suscite au-delà de nos frontières nous rappellerait s’il était besoin la valeur de ce personnage. Son cas n’appartient donc plus seulement à la France, pas seulement aux femmes, n’appartient pas seulement à la Révolution. Il intéresse – justement parce qu’elle s’est immergée totalement dans son époque – toutes les générations qui se posent la question de l’individu et celle de sa participation à l’Histoire.
Son cas nous intéresse parce qu’il jette un jour différent sur une page essentielle de notre Histoire et qu’il permet de nous interroger sur nous-mêmes, aujourd’hui où nombre de ses propositions, réalisées ou non, occupent encore nos débats. L’œuvre qu’elle laisse à la postérité, abondante et variée, élaborée dans des années décisives, entre 1783 et 93, est riche d’informations sur ce mieux qui était rêvé, promis à tous, sur les moyens et les méthodes pour y parvenir.
Elle offre l’avantage pour nous de présenter un point de vue tout à fait exceptionnel, celui d’une femme d’abord, une provinciale de la petite bourgeoisie, admise auprès des Grands à partir de son arrivée à Paris (1767) et qui a acquis dans ce parcours le regard perspicace et indépendant du « persan » en voyage. « Née française », elle a fait son fruit de la pensée des Lumières, sans rien perdre de la vivacité de la « languedocienne » forte d’un esprit critique affirmé et d’une évidente énergie. Une voie, seule, s’ouvrait devant elle, où tous ses élans pouvaient s’exprimer et être partagés : la littérature.
A chacun de juger de son œuvre. Elle est inégale peut-être et parfois sent la précipitation. Elle se flatte d’ailleurs d’être rapide et avoue parfois avoir terminé l’écrit sur le comptoir de l’imprimeur. Bien qu’elle ait tout sacrifié à cette passion des lettres et de la parole jusqu’à sa fortune et sa sécurité, elle garde la tête froide : « Qu’on ne me prête pas le ridicule de croire que mes pièces sont des chefs d’œuvre », dit-elle dans Molière chez Ninon ou le siècle des grands hommes. Mais on aimerait voir aujourd’hui une de ses pièces, bien représentée, pour en être sûr... !
Il faut dire que les dix années de sa carrière littéraire 83-93 ne furent pas pour le XVIIIe siècle le temps des chefs d’œuvre, en raison même des troubles qui agitaient les consciences. Il y avait à ce moment d’autres urgences que la recherche de la perfection artistique. Ces circonstances en revanche étaient favorables, chez Olympe particulièrement, à l’invention d’idées nouvelles comme de formes artistiques, qui se sont révélées naturellement, sans être voulues. Mais pour elle, que le sens des mots engage, citoyenne avant la lettre, l’urgence est d’intervenir, de participer à la construction, car elle est dans la crainte de voir, au moment du déferlement de la Terreur, la démocratie naissante s’élaborer sans avoir déraciné tous les esclavages de l’Ancien Régime.
C’est dans ce moment de crise auquel pour la première fois les femmes participaient qu’il est intéressant d’observer cette prise de parole féminine, qui s’est élevée à la grande surprise - c’est le moins qu’on puisse dire - des philosophes, des politiques, des hommes en général.
Ainsi en dix années d’activités littéraires, elle écrit au moins une vingtaine de pièces de théâtre (un tiers estime-t-on est perdu), la première : Zamore et Mirza, écrite en 83 jouée en 88 ; un roman autobiographique ( les Mémoires de Mme de Valmont écrit en 1784 publié en 88), un long conte philosophique Le Prince Philosophe, 1792), une foule de textes politiques et de maximes dont le premier, qui fit sensation un an avant le soulèvement de 89, La lettre au peuple ou Projet d’une caisse patriotique que lui inspire la déroute financière de l’Etat et la misère de la population. Bien d’autres suivront. L’historien Olivier Blanc à qui l’on doit en 1981 d’avoir le premier attiré l’attention sur cette œuvre compte pour les cinq années où se déploie l’expression purement politique, près de soixante-dix écrits de ce type sans compter les articles de presse. Le dernier, Les Trois Urnes ou le salut de la patrie (1793) lui sera fatal : elle a osé, pour tenter de mettre d’accord Montagnards et Girondins et éviter la Terreur qu’elle voit venir, elle a osé proposer une consultation générale, genre référendum, sur le mode de gouvernement à instaurer, trois urnes pour que les représentants se prononcent clairement sur un gouvernement monarchique, un gouvernement fédéral ou un gouvernement républicain... La proposition a été perçue comme un crime de lèse-majesté, ce qui prouve que les vieux réflexes de l’Ancien Régime n’étaient pas tous perdus. On invoqua aussi pour la condamner sa dernière pièce, La France sauvée ou le tyran détrôné, qui met en scène la chute de la monarchie, parce que l’on y entendait « la femme Capet » y tenir des propos injurieux à l’endroit des représentants du peuple…
Le volet de son œuvre le mieux connu aujourd’hui, c’est La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en raison des publications qui ont été réalisées dans les années 80 (Editions Côté Femmes) et de l’utilisation qui en a été faite par le mouvement féministe. Il était question, dans ces années qui voyaient certaines avancées en matière de progrès social, de revenir sur la place des femmes dans la société et d’étendre effectivement leurs droits. Le texte d’Olympe devait soutenir puissamment les revendications de ces femmes, impatientes de voir, après l’adoption du droit de vote après-guerre, évoluer concrètement les mentalités et les lois. La pensée d’Olympe ne saurait cependant être réduite à ce mouvement.
Les dix-sept articles de sa Déclaration, qui couvre tout le champ de la vie sociale où les femmes pourraient se manifester, affirme leurs droits et leurs devoirs, tous dépendants du premier article, péremptoire :
« La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. »
Elle l’affirme d’autant plus fermement qu’elle-même, libre de toute autorité parentale ou conjugale, ne reconnaît, en fait de référence supérieure, que la loi nationale, au même titre que l’homme. Il y est donc proclamé le droit à la propriété, au travail, à la sécurité, à la libre expression de l’opinion avec en regard l’acceptation sans réserve de toute sanction en cas d’infraction.
« La femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir le droit de monter à la tribune. »
Il n’est pas impossible que l’esprit de cet article X ait influé positivement sur son état d’âme au moment de son exécution, et si, avant de mourir, elle s’écrie : « Enfants de la patrie, vous vengerez ma mort ! », c’est que cette sanction, injuste, à ses yeux porte contradiction à la loi, une loi d’ailleurs invalide à ses yeux puisque instituée sans que les femmes y soient associées.
Le ton législatif de sa Déclaration cède le pas dans d’autres textes au style vindicatif que lui inspire sa colère lorsqu’elle considère le manquement aux principes de nature et de raison, qui devraient s’imposer à tous. « Partout dans la nature, les deux sexes coopèrent… L’homme seul s’est fagoté un principe de cette exception. Bizarre aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l’ignorance la plus crasse, il veut commander sur un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles. » Sa colère est d’autant plus vive qu’elle se souvient avec amertume qu’en les proclamant citoyennes, on ne dédaignait pas leur contribution en 89 quand les murailles de la Bastille s’écroulèrent, et qu’elles manifestaient, ce jour-là entre autres, leur volonté de prendre part à la refondation de la société.
Aux yeux d’Olympe le constat de l’injustice dans le traitement juridique des femmes se double d’un profonde déception que l’on pourrait dire philosophique, car elle voit dans leur éviction de la Déclaration des droits de l’homme qui les exclue de la chose publique « les causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements » et elle énumère les inconvénients pour l’humanité de la supériorité que l’homme a pris sur la femme, laquelle prend sa revanche par la ruse et le mystère. On voit là toute la modernité de sa réflexion, mais elle parle à son siècle et son « féminisme » ne l’empêche pas de voir, malgré le bel exemple de grandes dames dont le progressisme l’a éclairée elle-même, qu’il est beaucoup à réformer dans les comportements féminins. « Légèreté, frivolité séduisante et perfide, ô sexe tout à la fois faible et tout puissant, trompeur et trompé, ô vous qui avez égaré les hommes qui vous punissent aujourd’hui de cet égarement par le mépris qu’ils font de vos charmes… » (Le cri du sage, mai 89). Le jeu artificiel qui règle les relations hommes-femmes, principalement dans l’aristocratie et la bourgeoisie, n’est pas favorable au développement de l’esprit de solidarité qu’Olympe appelle de ses vœux. Aussi la trouve-ton ailleurs désemparée, réduite au cri d’impuissance lorsqu’elle se sent appelée à défendre ces femmes « que l’on achète comme esclaves sur les côtes d’Afrique, ces filles trompées et abandonnées, enfermées au couvent contre leur gré, ces veuves sans ressources parce que sans droits pour les sauver de la dépendance, financière et morale. Reste le rêve de jours meilleurs où « les femmes pourront, dit-elle dans Séance royale en juillet 89, échapper aux horreurs de la misère par les récompenses qui sont dues aux talents et j’ose avancer qu’en élevant leur sexe on restaurera en même temps les mœurs. » Le féminisme d’Olympe est un humanisme. Elle mise sur l’éducation, sur les enseignements de l’histoire où elle a trouvé personnellement ses modèles (les Dames romaines, Ninon de Lenclos, Christine de Suède, Madame de Sévigné, telles qu’elles apparaissent dans Molière chez Ninon ou dans Mirabeau aux Champs Elysées). L’ouverture d’esprit dont font preuve ses amis masculins soutient sans doute sa confiance : « Je laisse, dit-elle, aux hommes à venir la gloire de traiter cette matière. »
Si elle était certaine de ne pas voir réalisée cette révolution des mentalités et des lois, on imagine néanmoins sa satisfaction lorsque, en 91, un an après sa comédie qui traite du sujet, l’Assemblée a proclamé le divorce. C’était un pas en direction du Contrat social entre l’homme et la femme qu’elle proposait à la suite de sa Déclaration, en lieu et place du contrat de mariage de l’époque qu’elle considérait comme « le tombeau de la confiance et de l’amour ».
On le voit, c’est dans une vision globale de l’édifice social et de son harmonie qu’Olympe de Gouges se déclare, et ses propositions étonnent par leur audace, leur radicalité. Les philosophes dont on se réclamait dans ces années, à l’exception de d’Alembert, le plus ouvert sur ce sujet, n’avaient pas préparé le terrain, et Rousseau auquel Olympe se réfère souvent, n’était d’aucun secours, bien au contraire. Pour lui, « toute l’éducation des femmes doit être relative aux hommes, leur plaire, leur être utile, se faire aimer et honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, leur rendre la vie agréable et douce : voilà les devoirs des femmes dans tous les temps et ce qu’on doit leur apprendre dès l’enfance. » (L’Emile) Il faut croire qu’Olympe a tiré ses convictions de son propre vécu et de ses observations, encouragée aussi sans doute par les conceptions exprimées dans les milieux progressistes qu’elle fréquentait, par exemple au contact de Condorcet, un des rares à s’être prononcé en faveur, non seulement du divorce, mais aussi du vote des femmes.
L’esclavage des noirs dans les colonies a été un autre combat d’Olympe de Gouges. Ce fut même le sujet avec lequel elle est entrée, par la porte du théâtre, en littérature. Sa première œuvre publiée en 84 : Zamore et Mirza, présentée en 88 à la Comédie Française avec toutes les difficultés pour qu’elle soit jouée malgré l’appui de sa protectrice. Signe que le sujet lui tenait à cœur, la pièce était accompagnée d’une brochure, De l’esclavage des nègres et suivie d’une autre comédie en 90, Du marché des noirs.
Olympe de Gouges a certainement été acquise à cette cause chez la marquise de Montesson, épouse morganatique du duc d’Orléans, qui disposait d’un théâtre de société dirigé par le Chevalier de Saint Georges, enfant métis issu d’une liaison de son père avec une ancienne esclave. Dans cet entourage ouvert aux idées neuves et à l’art, Olympe a découvert à la fois sa passion du théâtre et sans doute trouvé un sujet à sa mesure. La remise en cause de l’esclavage n’était pas nouvelle, initiée par Montesquieu, Voltaire, Diderot, ce qui explique qu’une société des Amis des Noirs ait existé à l’approche de la Révolution, à laquelle Olympe adhère aux côtés de Brissot et de Condorcet. Mais par rapport à des propos de salons, ou des discussions au sein d’un club, elle est bien consciente de la force d’une représentation dramatique pour toucher les cœurs et les esprits et les dresser contre ce Code Noir édicté par Louis XIV et toujours en vigueur.
L’entrée d’Olympe de Gouges en littérature et dans l’arène théâtrale a été retentissante. Surpris par les audaces de l’œuvre (tant en forme qu’en contenu), les comédiens français qui ne brillaient pas par leur avant-gardisme et qui à l’époque faisaient la loi aux auteurs, prétextant la mauvaise qualité de l’œuvre, ont mis peu de conviction à la jouer. Ils étaient par ailleurs influencés par de nombreux spectateurs abonnés, intéressés au commerce triangulaire, qui firent scandale et menacèrent de retirer leurs subsides au théâtre. La pièce fut bientôt sortie de l’affiche. Olympe protesta si vivement que les autorités sollicitées à ce propos répondirent sans explication, comme il était encore de coutume avant son abolition en 89, par une lettre de cachet. Elle échappa à l’arrestation, fit son fruit de cette mésaventure, à sa manière. Bien loin de l’inciter à la prudence, cette expérience a favorisé sa prise de conscience et déterminé son engagement politique. Elle constate bientôt que le nouveau régime ne lui fait pas un meilleur accueil. La Commune de Paris en 90, lorsqu’elle représente sa pièce à la censure, la trouve incompatible avec les Droits de l’homme, puisque les esclaves, ni plus ni moins que les femmes ne sont pas comptés dans la Déclaration ! A ce verdict, elle ne se cache plus, prêche ouvertement pour une « liberté incendiaire dans les colonies » et récidive par des représentations en province et par sa nouvelle comédie Le marché des noirs, non sans avoir au préalable réglé ses comptes et justifié ses positions : « Mais ces colons inhumains, ces planteurs foudroyants, qui sont-ils ? la plupart repoussés du sein de leur famille, chassés du sein de leur patrie… J’ai voulu les porter à faire de leurs esclaves des serviteurs fidèles, des cultivateurs zélés, mais ils ne veulent pas perdre une légère partie de leurs revenus. » A cette occasion elle devait mesurer combien le progrès social et moral, dans l’absolu assez bien partagé, pouvait se voir freiné par les intérêts particuliers de ceux qu’elle appelle ailleurs - on appréciera l’expression - « des capitalistes calculateurs ». Faux espoir : la traite des noirs serait interdite en 94 et rétablie en 1802, abolie à nouveau définitivement en 1848, on en parle encore.
La cause des femmes, la cause des noirs, Olympe de Gouges a épousé la cause des opprimés d’une façon générale, qu’elle prétend défendre en toute indépendance. Elle répète sans relâche qu’elle ne connaît qu’un parti, celui « de la justice, de l’innocence et des persécutés », action dans laquelle elle voit ses titres de noblesse.
Son activisme se remarque à plus d’un signe. Elle fait preuve d’abord d’une mobilité étonnante, toujours prête au déménagement pour se trouver à proximité du lieu qui vibre ; elle se veut proche de ceux dont la fréquentation la nourrit, proche ensuite de l’événement lorsqu’il s’agit d’influer sur lui, ou ailleurs, en province où, en bonne girondine, elle veut aussi faire entendre sa voix. Captivée par l’actualité pourtant inquiétante, elle n’a pas su quitter Paris à temps pour rejoindre cette maison de Touraine où dans sa dernière année elle a pensé se retirer.
Son activisme est perceptible surtout au souci d’efficacité qu’elle manifeste dans le choix de ses modes d’expression. Elle aurait volontiers aimé le véhicule de la presse, florissante dans ces années, mais se félicite de n’en avoir pas eu l’autorisation en pensant qu’elle aurait été plus tôt ruinée. Le titre de son journal était pourtant tout trouvé : L’Impatient !
Dans ces conditions il n’est pas étonnant qu’elle ait privilégié l’expression dramatique, la brochure, le placard, la lettre ouverte qui lui permettent de s’exprimer au plus près d’elle-même et sur le mode qui pouvait le mieux lui convenir, dans le dialogue étroit et direct avec le public, c’est-à-dire avec son époque. Tout au long de ces années son œuvre théâtrale se déploie sans rupture. Elle se double à partir de 88 par tous les autres moyens d’expression.
L’année 88, avec la Lettre au peuple, marque le début de la démultiplication de ses moyens d’expression, mais elle reste toujours fidèle au théâtre qui l’a fait naître à la littérature, terrain sur lequel on peut la découvrir aujourd’hui le plus intimement, parce que le théâtre, et le sien en particulier, ne se limite pas à l’exposé d’une idéologie, qu’il propose au fil de l’action dramatique incarnée dans des personnages vivants des façons d’être qui nous parlent concrètement de leur auteur, des façons de réagir et de devenir… ensemble. « J’aime la comédie, c’est l’école du monde », dit-elle dans la Lettre au peuple, ce qu’elle avait prouvé l’année précédente en développant théâtralement à travers le personnage de Ninon l’influence reçue de Molière.
Il faut noter que, si quelques femmes produisaient pour le théâtre (Mme de Montesson, Julie Candeille, Sophie de Beauharnais), aucune à l’époque n’a abordé des sujets aussi forts et ambitieux comme s’y hasarda Olympe de Gouges, en abordant de front des questions que son temps devait résoudre (La nécessité du divorce, Le couvent, L’esclavage des noirs) ou adoptant, passée ou présente, la perspective historique, naturellement difficile à traiter (Mirabeau aux Champs Elysées, L’entrée de Dumouriez à Bruxelles, Ninon ou le siècle des grands hommes, La France sauvée ou le tyran détrôné). Quel que soit le sujet, son ambition par le théâtre de poser et se poser question a développé en elle une réelle capacité à concevoir l’action dramatique, hors de tout académisme, ce qui lui fit entrevoir, si l’on observe attentivement sa dramaturgie, les réussites théâtrales du siècle à venir.
Sa préoccupation d’une communication efficace influe sur les genres auxquels elle recourt, conçus pour tenir serré les liens qu’elle crée avec son public. Son roman autobiographique, les Mémoires de Madame de Valmont, est épistolaire et dédié aux femmes, qu’elle interpelle à l’occasion. Ses écrits politiques, sous forme de discours ou de lettre, sont destinés à être lus par tous, mais toujours adressés à un destinataire précis : une façon de prendre ainsi le peuple des lecteurs à témoin. Ainsi elle tance les représentants des Etats généraux dont les vaines querelles retardent les travaux, rappelle à tel seigneur ses devoirs, incite le roi à prendre un parti courageux et lui dicte le discours qu’il devrait prononcer devant son peuple, supplie, au nom de l’honneur, le noble qui va chercher aide à l’étranger ou le despote éclairé, Frédéric de Prusse, afin qu’il renonce à la guerre…Et il n’est pas indifférent que, bien que largement diffusée, sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne soit dédiée à la femme la plus controversée du royaume, la reine... La littérature est aussi stratégie. A l’exception des derniers textes, virulents, adressés à Marat et Robespierre, pour dénoncer sans ambages leur appétit de domination et leur trahison, l’adresse de ses écrits ajoute au message qu’elle délivre des subtilités de sens qui, dans le feu des événements, ne lui ont pas été finalement favorables.
Toutes ces interventions font-elles un projet cohérent ? L’énumération de ses prises de position ne suffit pas à caractériser sa pensée et l’intérêt qu’elle peut avoir pour nous.
On peut comprendre qu’à l’époque on ne l’ait pas comprise et, entre autres, pour ce qui pouvait passer aux yeux de beaucoup pour des contradictions. Par exemple, en matière politique, son royalisme d’une part qu’elle justifie par la stabilité que la monarchie peut offrir au peuple, et son patriotisme républicain qui garantit à son point de vue l’instauration de lois plus justes. « Royaliste et véritable patriote, à la vie à la mort, je me montre telle que je suis. » (18 janvier 90). Elle peut aussi plaisanter de son image :
« Les uns veulent que je sois aristocrate, les aristocrates prétendent que je suis démocrate. Je me trouve réduite comme ce pauvre agonisant à qui un prêtre rigoureux demandait à son dernier soupir :
-
Etes-vous moliniste ou janséniste ?
-
Hélas, répond le pauvre homme, je suis ébéniste. »
On n’a pas su voir que pour elle - qui ne se dit pas faite pour la politique – le type de gouvernement n’était pas une fin en soi, mais un cadre dans lequel chacun, c’est-à-dire tous, devait trouver sa place. Aussi a-telle évolué au fil des événements. La fuite du roi à Varennes (1791) qui la déçoit profondément, parce qu’elle représente une démission des devoirs royaux, la range du côté des républicains convaincus. Elle reporte alors toute sa confiance, tous ses espoirs dans les travaux de la Constitution, qu’elle soutient depuis le début, non sans inquiétude :
« Quel que soit l’esprit du gouvernement que les Français adopteront, pourvu qu’il soit sage et avantageux pour tous les citoyens, je l’approuve d’avance, fût-il un gouvernement républicain ; mais il est temps de sortir de cette cruelle indécision, de cette position pénible où nous sommes enterrés ; il est temps de donner un mouvement à la Constitution que je considère comme un superbe vaisseau que d’habiles artistes ont construit pour résister à la tempête et lutter contre les écueils les plus dangereux ; enfin, lancé au port, il n’attend plus que le beau temps pour déployer ses voiles et voguer sur le vaste océan ; le ciel est serein, la mer est calme, les voyageurs impatients font lever l’ancre ; mais une rixe s’élève entre les pilotes et les matelots sur la direction du navire ; les uns parlent de mettre à la voile, les autres de mettre un embargo ; la dispute s’engage, elle devient sérieuse, le vaisseau languit, et la cargaison la plus précieuse dépérit. Les uns veulent le diriger vers l’occident, les autres vers l’orient ; le temps s’écoule en vaines discussions, l’horizon se couvre de nuages, la tempête, les éclairs, les tonnerres grondent de toutes parts, les flots s’agitent, et le vaisseau le plus solide est prêt à faire naufrage au port. » (Le bon sens français, avril 92)
Olympe est une modérée qui prêche la modération avec passion, voire acharnement, car elle n’est pas sans voir les dangers nouveaux qui menacent la patrie du fait de l’avarice des uns et l’arrogance des autres qui allument la guerre civile à l’intérieur du pays et pervertissent les principes de 89, déclarés au nom du peuple. « Quand je veux considérer dans quelles mains existe le véritable patriotisme, hélas, je ne le trouve que dans ce peuple pauvre, indigent, que les séditieux n’ont pu soudoyer ni corrompre, je m’écrie comme Molière : Où la vertu va-t-elle se loger ? Oui, Messieurs, le vrai patriotisme ne règne que dans les bonnes gens, ils portent le fardeau de leur détresse, de leur peine, avec constance, et, ayant mis en vous toute leur confiance, ils disent : Nous souffrons, mais les législateurs français nous promettent un temps plus heureux : plus heureux ! » (1791, Sera-t-il roi)
Toutes les dénonciations que l’on trouve dans les écrits d’Olympe de Gouges convergent vers un même point qui constitue le centre de sa pensée et qui l’autorise dès le début à se déclarer « citoyenne » : son souci de l’intérêt général. C’est à ce niveau de réflexion qu’elle s’efforce toujours d’élever le débat, en stigmatisant les comportements dictés par la passion et les intérêts particuliers, partisans et corporatistes qui tendent toujours à s’imposer par la force. « Il ne faudrait dans cette époque que la sincérité et l’amour du Bien public. » (Adresse au roi, juillet 89)
Cette notion de Bien public est présente dans toutes ses interventions, activée principalement par toutes les circonstances qui, dans ces années de grands changements, ont favorisé la discorde d’abord, bientôt le déclenchement de la violence, symptôme de la disharmonie de la société. Chahuts à l’Assemblée, émeutes dans la rue, massacres…, l’époque n’a pas été avare d’événements propres à bouleverser les consciences avides de progrès mais éprises de sagesse :
« Hélas, quand l’Assemblée constituante a engagé tous les gens de lettres à faire des recherches sur le Code pénal afin d’abroger même la peine de mort sur les criminels, s’attendaient-ils que, dans une révolution opérée par les Lumières de la philosophie, au bout de quatre ans, les Français donneraient la mort sans relâche pendant trois jours et trois nuits à leurs concitoyens ? » (à propos du massacre du Champ de Mars juillet 91, La fierté de l’innocence, septembre 92)
C’est dans un même esprit et avec un courage qu’on ne peut que lui reconnaître qu’au moment où se décidait son sort à l’Assemblée Olympe a pris la défense de Louis XVI et plaidé pour son exil, car, dit-elle : « Le sang, disent les féroces agitateurs, fait les révolutions. A quoi je réponds : le sang, même des coupables, versé avec profusion et cruauté, souille éternellement les révolutions. » (La fierté de l’innocence, sept 92)
La parole d’Olympe de Gouges porte témoignage de formes diverses de violences, toutes contribuant à éloigner de ce Bien public vers lequel l’époque révolutionnaire tendait et que l’on formulait pourtant en termes clairs de justice et d’égalité. Sa pratique de la vie parisienne (mondaine et populaire), ses relations avec la province lui donnent de nombreux exemples de manquements à ces principes. Elle est très sévère à l’égard des Grands, pleins de suffisance, à qui elle aimerait faire comprendre qu’ « il n’y a pas de grand homme devant son valet de chambre ». L’indifférence du Clergé, représentant peu soucieux de partage et de concorde, l’indigne. La misère du peuple l’émeut et lui inspire des évocations où s’exprime toute sa sensibilité aux individus en même temps que sa compréhension du rôle fondamental des facteurs économiques dans les bouleversements politiques du moment.
Dès 88, dans ses Remarques patriotiques, elle alertait le roi sur la situation explosive qu’entraîne la mauvaise gestion des affaires de l’Etat : des fastes dispendieux de la cour, des manœuvres bancaires calamiteuses et une pression insupportable sur la population. « Le commerce est écrasé, une quantité innombrable d’ouvriers est sans état et sans pain », le paysan est sans ressources après une série de catastrophes atmosphériques ; tous dérèglements qui frappent d’abord les plus fragiles, les vieillards, les femmes et les enfants, dès lors sans appui. « La misère n’a déjà que trop assiégé votre pays, disait-elle au roi déjà en 88. Craignez d’allumer les flambeaux de la guerre et de périr les premiers dans une infâme boucherie. » Lorsque le pouvoir passe à l’Assemblée où les nobles et le clergé veillent à leurs intérêts, elle n’a pas discours différent.
La Justice se ressent de ce dérèglement de l’économie qui entraîne en cascade, pour les moins graves délits, dettes et vols, également sanctionnés, et de façon expéditive. Une justice injustement rendue, Olympe le signale dès 85 dans sa pièce L’Homme généreux qu’elle centre sur une famille dont le père sans travail risque l’emprisonnement pour dettes. A ce moment elle sollicite, par le personnage qui dénoue la situation, la générosité de la noblesse mais devra bientôt se rendre à l’évidence – sans qu’elle en perde l’espoir – de la difficulté de réformer le système, foncièrement inégalitaire.
La notion de progrès généralement se pense d’abord en termes d’idéaux. Il est bien évident que, par rapport à ceux de l’Ancien Régime, Olympe se situe résolument parmi les progressistes les plus avancés, au point que nous la sentons très proche de nous aujourd’hui, signe que le progrès à la longue n’est peut-être pas un vain mot. Nous partageons en effet son idéal de société et nous en voyons réalisés d’ailleurs certains aspects. Or l’idéal, pour devenir effectivement progrès, changement et avancée, implique inévitablement un autre processus de pensée et le maintien du contact avec la réalité. C’est ce qui est le plus intéressant à observer dans les écrits d’Olympe de Gouges. Elle est capable de penser les principes et d’en user, mais elle les craint aussi, consciente qu’ils deviennent vite lettre morte. La crainte de la fossilisation du vivant dans les mots et le pré-jugé, elle l’exprime par image dans cette réflexion : « Je n’aime pas les serments d’amour. Il semble qu’ils ne soient prononcés que pour être violés. » Et elle rappelle volontiers à ceux qui se satisferaient de constructions intellectuelles : « Finies, les réflexions, il faut agir. »
Aussi s’empressait-t-elle toujours d’ancrer l’idée dans la réalité, privilégiant au grand exposé théorique la proposition concrète. Les deux premiers textes politiques donnent le ton, où les considérations générales sur le mauvais état du pays et particulièrement de ses finances cèdent bientôt le pas aux projets qui pourraient lui porter remède. Aux problèmes économiques, elle répond (dès 88) par la proposition d’une « caisse patriotique » ouverte à tous qui dispenserait de lever un nouvel impôt territorial, propose la réduction du train de vie à la Cour, la suspension des privilèges et des pensions, l’instauration de taxes sur les véhicules et la domesticité (sorte d’impôt sur la fortune), une taxe sur les spectacles alors florissants. Dans le domaine social, elle imagine la création d’ateliers publics pour soulager temporairement l’ouvrier sans travail, l’attribution de lopins de terre publics pour lutter contre la famine, l’ouverture de maisons de secours pour les vieillards et les enfants abandonnés ou orphelins. Préoccupée de santé et d’hygiène publiques, elle intervient en faveur de la réhabilitation des hôpitaux ou de la création de maternités. En matière pénale, elle estime qu’un individu criminel doit être jugé par ses pairs et conçoit le jury populaire. Elle intervient ailleurs pour rationaliser le trafic des charrettes et cabriolets dans les rues de Paris et livre son plan de circulation. Olympe est aussi une pragmatique, qui tire ses idées de ses constatations où elle repère ce qui est à reprendre, à reformuler, à corriger, parce que quelque chose manque, ou que les temps ont changé.
Ce principe de « correction » est sans doute un caractère propre à sa pensée et à son création, apparent jusque dans les titres de ses œuvres : Les Mémoires de Madame de Valmont (cf. Laclos), Le Mariage inattendu (cf. Beaumarchais) et prioritairement son Philosophe corrigé. Ce titre est tout un programme. Le personnage en question dans la pièce est un marquis, un homme estimable, qui s’efforce en bon philosophe de régler sa vie sur ses principes, lesquels sont fondés en raison. Mais il ne se rend pas compte que ces mêmes principes l’éloignent de la vie et des autres. Dans ce siècle des Lumières, quelles que soient les admirations qu’il inspire à Olympe, Rousseau particulièrement, il y a à corriger. Ni victime ni révoltée, plus réformiste que révolutionnaire, Olympe de Gouges part d’une donnée, s’engouffre dans les manques, reforme ce qui pour elle est insuffisant ou pervers. Là où il n’y a que le principe, elle introduit le sentiment. Là où il n’y a que rêverie, elle pose la réalité quotidienne. Et elle ramène vite aux valeurs sûres du passé et de la raison s’il y a risque de tomber en avant dans l’utopie. Pour exemple cette mise en garde qui valait pour les décennies suivantes et vaut encore pour notre époque : « N’aspirons pas à la vaine gloire d’établir la liberté universelle et, tout en condamnant les missionnaires religieux, n’imitons pas leur exemple par une ardeur immodérée de propager nos principes qui sont moins le signe du bonheur que du désir de briller. »
Olympe de Gouges qui se méfie de la propension de toute vérité à devenir préjugé ne propose pas de certitudes. On peut lui attribuer ce propos qu’elle prête à Ninon : « Je n’en impose jamais. » où il ne faut voir ni tiédeur ni renoncement, mais prudence de dialecticien qui a opté pour une pensée en mouvement. On observe ce phénomène aisément dans son théâtre où une pièce nuance l’autre ou la contredit parce que l’auteur, par le choix de ses personnages, a fait varier les points de vue. Ainsi elle peut ici proclamer la nécessité du divorce, ailleurs reconnaître la valeur du mariage ou la vie libre de Ninon ; elle peut porter de sévères condamnations contre le Clergé et certains prélats et camper en même temps de belles figures de curés ou de religieuses ; ou proclamer des admirations inspirées par des personnages politiques que l’on ne peut imaginer dans un même parti. Toute la réalité sociale est revisitée, les relations humaines corrigées et ranimées.
La brutalité des événements révolutionnaires, la persistance dans le nouveau régime des anciens réflexes ont couvert longtemps la parole d’Olympe de Gouges. Son œuvre pourtant, étroitement associée à ce que pensaient et vivaient ses contemporains, apportait une riche contribution à la société qui se formait autour d’elle. Le citoyen d’aujourd’hui, curieux de ces commencements, y trouvera inscrite cette recherche de l’équilibre qui concilie des impératifs contraires, principalement les droits de l’individu et l’intérêt général, équilibre instable qui, force ou faiblesse, constitue la nature de nos démocraties.
Mais Olympe laisse au chercheur-lecteur un autre message à méditer, lié à son parcours personnel. Partie de Montauban où elle est née en 1748, elle arrive à Paris en 67. 1778, naissance d’une passion : la littérature. 1784, à 36 ans, rencontre du public, publication, projet de représentation. 89 n’est pas loin et 93. Quelle métamorphose pour cette petite occitane sans éducation et qui parlait mal le français ! S’agissant du don des lettres, faut-il croire à l’héritage que lui aurait transmis celui qu’elle présente comme son père biologique, Lefranc de Pompignan ? Plus sûrement on peut trouver une explication dans sa nature même, d’une sensibilité aiguë, une intelligence vive et surtout d’une détermination farouche dès qu’il s’agit de conserver sa liberté au milieu des autres. Ce que le sort lui a donné, elle l’a visiblement ressenti plus vivement que d’autres : l’absence du père, sa condition de fille naturelle puis d’épouse, son manque d’éducation, l’étroitesse de la vie de province. Contre cette naissance, et cette existence qui n’en était pas une à ses yeux, Olympe a répondu par la révolte. De tous ces éléments perçus comme des manques, elle a fait une force. Si elle a vécu pleinement la vie parisienne, elle n’a pas cessé d’en voir les travers. Vertu de la littérature : elle y a aiguisé sa connaissance de l’humain, en trouvant sa musique personnelle. Ainsi elle s’y est fait un nom bien à elle et s’est offert par là une postérité.
Elle se montre à nous telle qu’elle est devenue et chacun peut mesurer le chemin parcouru jusqu’à cette dernière lettre, très émouvante, envoyée de prison : » Je suis femme, je crains la mort, je redoute votre supplice mais je n’ai pas d’aveux à faire et c’est dans mon amour pour mon fils que je puiserai mon courage. » Malgré cette exécution qui l’a réduite au silence, elle incarne désormais une victoire sur la soumission, où traditionnellement les femmes sont contenues, par le droit à la parole dont elle s’est saisi. Et son œuvre toute entière, quelle que soit la classe sociale concernée, plaide pour une parole libre, vraie et qui s’échange. Injustement il lui a été reproché de changer d’opinion, elle est convaincu que tout se fait avec les autres, par la négociation, voire le compromis. Ce qu’elle cherche dans son théâtre, après avoir débusqué les silences forcés, les propos trop policés, c’est d’amener la parole à circuler librement. Après sa première pièce d’un langage châtié, elle a trouvé une certaine jubilation dans la confrontation de parlers très divers (plusieurs niveaux de langue, régionalismes) qui, si elle n’aboutit pas toujours à l’entente et laisse en l’état la hiérarchie des classes, voudrait favoriser au moins un certain progrès dans la communication entre individus. N’aurait-elle pas rêvé aussi à une communication entre les peuples d’Europe à l’époque pourtant en guerre ? Dans sa pièce sur l’entrée de Dumouriez à Bruxelles, on parle de drôles de langues, chacun dans son parler fait des efforts comiques et attendrissants pour être entendu de l’autre… Collectif ou individuel, le progrès pour Olympe de Gouges est plus qu’une espérance.
Geneviève André-Acquier (Académie de Montauban, avril 2009)