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La revue Òc ! a 100 ans

par Roland Garrigues (chronique donnée le 6 mai 2024)

 

Il est courant d’entendre et de voir, lorsqu’une revue apparaît, qu’elle ait peu de chances de dépasser les parutions avec des numéros à un chiffre ! Ainsi vont les choses, pourrait-on admettre ! Pourtant le rôle joué par les revues, lieux de rencontres et d’échanges dans le renouvellement d’une littérature est primordial. Bien évidemment et fort heureusement, il existe de glorieuses exceptions à cette règle qui rendrait les revues éphémères. Parmi celles-là se trouve la "Revista" Òc dont on célèbre les 100 ans. Elle avait été conçue et créée à Toulouse en 1923, mais son premier numéro date du 27 janvier 1924.

En introduction du n° 300 de Òc, été 1991, dont la parution a donné lieu à une réception en mairie de Montauban à l’invitation d’Hubert Gouze, il est indiqué sous le titre « Orientation » qu’elle « a été créée par Ismaël Girard avec l’aide d’Antonin Perbosc et de Camille Soula ». En fait, Perbosc, bibliothécaire à Montauban, écrivain occitan à qui l’on doit le concept d’Occitanie, élu en notre Académie au 9ème fauteuil le 12 février 1918, venait souvent et régulièrement chez Girard. Le troisième homme attaché à la création de la revue est Paul Rolland, Montalbanais également, dont Georges Passerat a bien voulu me donner des détails de sa biographie. C’était un écrivain et critique d’art, né le 29 mai 1881 à Montpezat-de-Quercy qui signait ses articles sous le pseudonyme de Jean-Paul Rolland et parfois Rolland Régis. Il était chef de bureau à la préfecture. Il conviendrait d’effectuer d’autres recherches sur ce personnage qui a, semble-t-il, collaboré, du moins dans un premier temps. Malgré tout, il convient de dire qu’il a fondé avec Marcel Thourel, ancien militant communiste devenu bouquiniste, la librairie « Occitania », rue du Taur, à Toulouse, qu’aujourd’hui dirige le petit-fils Thourel.

Camille Soula, le deuxième père de la revue fut, lui, un grand résistant. En 1942, il a fondé avec Jean Cassou, Joseph Ducuing puis Silvio Trentin (des noms qui parlent aux Toulousains) le groupe « Libérer et Fédérer ». Humaniste, franc-maçon, artiste et régionaliste, Soula était agrégé de médecine et physiologiste. Ses travaux ont porté sur la fonction glycémique et les transmetteurs chimiques. Il a été proche de Pavlov. Il avait fondé avec Girard, Déodat de Séverac et Perbosc la « ligue de la patrie méridionale ». En 1945, il a créé avec Cassou, Max Rouquette, René Nelli, Tristan Tzara l’Institut d’Études Occitanes (IEO), sur le modèle de l’Institut d’Études Catalanes. Avec son gendre, il avait libéré André Marty mis en résidence surveillée par le PC qui voulait éliminer le « mutin de la mer noire ». Il avait activement soutenu Léon Blum dans sa campagne des législatives dans l’Aude.

Le principal instigateur et rédacteur en chef de la revue demeure Ismaël Girard (1898-1976). Très engagé dans la défense de la culture occitane, après le premier conflit mondial, il est entré en contact avec le grand poète béarnais Michel Camelat. En 1923 il a fondé avec Perbosc et de Séverac l’éphémère « ligue de la patrie méridionale », suite à la rencontre avec les leaders catalanistes réfugiés à Toulouse après le coup d’État de Primo de Rivera. À la création de Òc, grande place sera laissée à la culture catalane. Ainsi furent les personnages qui ont porté la Revista sur les fonts baptismaux. Òc se voudra l’organe de combat de la renaissance culturelle et linguistique des pays d’Oc. Le premier numéro de 1924 se présente sous la forme d’un journal normal. Son titre est évidemment Òc ! avec un point d’exclamation. En chapeau de l’éditorial est inscrite en gros caractères la phrase : « Pas al dessus de tót, mas al trefons del còr i a çò nòstre » (Pas au-dessus de tout, mais au plus profond du cœur il y a ce qui est à nous). Dans son livre La revendication occitane (Flammarion), l’universitaire écrivain occitan, Robert Lafont dit que « Òc est la revue culturelle que le félibrige n’a pas su créer. » Il poursuit : « mouvante et souvent protéïforme, elle suit dans sa pensée quelques axes non brisés : la recherche de la modernité littéraire et critique, l’élaboration d’une langue moderne et la promotion des études. »

(https://mail.google.com/mail/u/0/?ik=51aafe76aa&view=pt&search=al... le 02/12/2024)

Il faudrait davantage de temps pour parler de l’histoire de la revue qui, en un siècle, n’a pas dévié de ses buts, même si elle a connu plusieurs interruptions et plusieurs changements d’équipe. Les trous peuvent s’expliquer par la défaillance de financement même si Girard qui a souvent contribué disait : « Il faut bien que l’argent serve à quelque chose ! » L’Interruption en 1934 intervient quand cessent les aides catalanes. Plus tard également quand Girard, en 1942, entrera dans la clandestinité chez Rouquette a Saint-Saturnin. Dans une étude sur la revue, entre 1931 et 1945, Yves Toti, auteur d’une thèse de doctorat intitulée Òc pèlerin de l’absolu, dit que Òc se « tait aux périodes de tension majeures qui ne sont pas les plus sanglantes mais celles où il y a un enjeu franco-français. »

Parmi les responsables de Òc sous la direction de Girard, nous aurons Alibert jusqu’en 1934. Après la guerre, plusieurs éminents occitanistes, sous la présidence de Girard, ont dirigé la revue : Lafont, Castan qui est le maître d’œuvre du numéro spécial de 1947 qui selon Jean-Frédéric Brun, écrivain et historien « marque une pierre miliaire dans la culture occitane. »  On trouvera aussi Max Rouquette et René Nelli. Après les turbulences de 1962, quand Girard. Manciet et Castan sont exclus du mouvement occitaniste, il y un arrêt, mais Girard avait conservé la propriété du titre. Un titre qu’il fera reparaître en 1969 jusqu’à sa mort survenue en 1976. En 1974 je me suis rendu au cabinet du docteur Girard, rue Croix-Baragnon, pour me soigner d’une angine ; j’en avais profité pour lui montrer des poèmes qu’il eut la bonté de publier dans la revue. Après son décès, Bernard Manciet a pris les commandes. Il a opéré à une double ouverture : ouverture sur le monde et accueil de jeunes auteurs, n’hésitant pas à leur confier des responsabilités. Il m’a accueilli au Conseil de direction en 1982, voilà plus de 40 ans.

L’aventure continue ! Michel Miniussi, Paul Castela, Max Rouquette à nouveau, puis Marie-Louise Gourdon ont dirigé la rédaction et ont joué un rôle majeur en compagnie du poète Max Allier. Une belle chaîne qui va de la Gascogne à la Provence en passant par le Languedoc ! Le poète Jean-Pierre Tardif, à la mort de Manciet, a pris les rênes qu’il a confiées à l’actuel responsable, poète également, Frédéric Figeac, le président étant l’artiste albigeois Serge Labatut. Òc a publié les plus grandes œuvres des écrivains occitans tel Verd paradis et L’enterrement à Sabres. Bien des œuvres ont vu le jour dans cette précieuse et utile revue dont le slogan claque comme un étendard que le mistral, la tramontane ou l’autan agiteraient dans le ciel du sud : « LA FE SENS OBRAS MORTA ES » ! Parole de Saint-Jean ("Sans œuvre la foi est morte").