Les contes de Perrault
Le livre pour enfants et l’histoire culturelle de l’enfance (XVIe-XIXe siècles)
par Michel Manson , membre associé, séance du 6 mai 2019
En ce début de mois de mai, l’Académie accueillait Michel Manson, membre associé, pour une conférence intitulée Le livre pour enfants et l’histoire culturelle de l’enfance (XVIe-XIXe siècles). L’auteur est docteur d’État en histoire moderne et contemporaine, professeur émérite en Sciences de l’Éducation, diplômé de l’École Pratique des Hautes-Études ; il a réalisé une thèse sur Le Jouet dans la France d’Ancien Régime et est président-fondateur de l’AFRELOCE (Association française de recherche sur les livres et objets culturels de l’enfance).
En préambule, Michel Manson indique qu’il ne s’agit pas d’aborder le livre pour enfants sous l’angle de la qualité littéraire d’une "littérature enfantine", mais en tant qu’objet d’une culture d’enfance. L’enfant grandit et se forme dans une société donnée par ses rapports aux autres et aux objets qui l’entourent qui sont ses jouets, ses livres et ses images, ses bonbons. L’histoire des livres pour enfants est donc dépendante de l’histoire de l’enfance. Si, à l’origine, les livres pour enfants sont des abécédaires, des ouvrages moraux, des contes ou des bestiaires, au Moyen Âge et à la Renaissance, ce sont des psautiers, des livres d’heures, des vies de saints, des romans de chevalerie, des fables. L’enfant apprend ainsi à condition qu’on lui présente les sujets sous les yeux, habilement figurés, si tout ce qui raconte l’histoire lui est montré sur l’image (par exemple les Fables d’Ésope, publiées en 1484).
Les contes restent, pour les enfants, une littérature de fiction orale. Érasme se prononce contre la pédagogie de la peur, utilisant les croquemitaines. Les catéchismes protestants de Calvin à Théodore de Bèze sont fort pédagogiques, tandis que les mêmes, catholiques, s’adressent aux enfants selon leur niveau d’âge. Au XVIIe siècle, le marché du livre pour l’enfance et la jeunesse se répartit entre éditeurs de livres scolaires et éditeurs de "Bibliothèque bleue" (ouvrages de fiction). À la fin du XVIIe siècle, on note de réelles initiatives pédagogiques avec la collection des livres Ad usum Delphini (l’idée étant que les grandes œuvres doivent être adaptées à un public enfantin) conjointement avec l’action des précepteurs des princes tels Bossuet et Fénelon, ce dernier étant qualifié de véritable créateur de la littérature de jeunesse. Il élabore ainsi pour le duc de Bourgogne une littérature graduée selon les âges et théorise les rapports entre l’objet-livre, l’apprentissage de la lecture et le plaisir des histoires (cf. L’Éducation des filles, 1686).
S’il revient à Charles Perrault de montrer tout l’enjeu du public enfantin (cf. ses Contes en vers), les années 1680-1710 constituent un tournant majeur. Mais c’est vers le milieu du XVIIIe siècle que l’enfant lecteur devient un personnage de ses livres et le marché des livres pour l’enfance et la jeunesse est en pleine transformation. Ainsi, Mme Leprince de Beaumont exprime dans son livre Magasin des enfants (1756) sa volonté de faire des ouvrages adaptés à la mentalité enfantine. D’autres auteurs chercheront à écrire des livres qui les obligent à mieux regarder les enfants. Des changements rapides se notent dans les représentations et dans les savoirs sur l’enfant et son éducation. Rousseau, dans son Émile (livre III), ouvre les portes à un flot de tentatives d’auteurs qui croient savoir qui est l’enfant lecteur et quels livres il faut lui écrire.
La Révolution est là qui confirme la croissance exponentielle du marché des livres pour enfants, et ce dans tous les genres (almanachs, historiettes, comédies, catéchismes, poèmes, etc.). Elle accélère le processus d’adaptation du livre à son public enfantin. Nouveauté importante : les livres opèrent un glissement de la morale vers le politique ; il faut savoir rendre encore plus simple, encore plus clair, ce qui souvent l’est déjà trop pour l’homme instruit qui ne sait pas jusqu’à quel degré de simplicité il faut descendre pour être compris des enfants, dit-on à l’époque.
Dans le premier tiers du XIXe siècle, un marché s’organise et les auteurs plus "professionnels" (donc de moins en moins enseignants) apparaissent. Les historiettes morales l’emportent sur les romans et les contes de fées. Le désir d’adaptation se manifeste par la réécriture des classiques. La loi Guizot (1833), qui augmente la scolarisation et le nombre de distributions de prix, permet une extension du lectorat enfantin. Le Journal des enfants ne publie pas des contes délicieux, mais plutôt des contes qui disent l’histoire, et ce de manière amusante, utile et vraie. La littérature enfantine s’ouvre de plus en plus à tous les enfants, particulièrement aux filles. Une nouvelle littérature de la jeunesse s’invente.
Le XIXe siècle voit éclore l’édition catholique de province (Mame à Tours, Lefort à Lille, Mégard à Rouen, Aubanel à Avignon, Ardant à Limoges). Six maisons provinciales publient en 1862 près dix millions de volumes, dépassant l’édition parisienne. Face à cet essor de l’édition catholique, un homme se lève, Hetzel, qui marque son mépris pour « ces plumes mercenaires qui font le métier d’écrire à la douzaine ces livres sans esprit ni parfum, ces livres plats et sans relief… ». Il ne reproche pas réellement à cette littérature de vouloir instruire et moraliser la jeunesse, mais de le faire sans talent, sans réelle inspiration.
En conclusion, Michel Manson soulignait : « Les livres pour enfants ne vont plus cesser de se diversifier et de s’améliorer : naissance de la bande dessinée, transformations constantes de l’album, livres d’artistes, qualité littéraire en augmentation, etc. Pour entrer dans le détail de la "littérature" de jeunesse et de son rapport à la culture d’enfance, il faut s’attacher à étudier les œuvres des auteurs, comme on l’a fait pour la comtesse de Ségur ou Jules Verne, etc. Mais il faut aussi étudier les éditeurs et le marché du livre. La prise en compte de l’enfant suit l’apparition de la science de l’éducation comme discipline, et ses progrès. Le courant de l’éducation nouvelle inspirera les albums du Père Castor, et des livres pour bébés de moins de trois ans paraissent aujourd’hui ».
Le président Jean-Luc Nespoulous remerciait chaleureusement le conférencier pour un exposé précis, vivant, traduisant la passion de son auteur.
Il risquait une question en relation avec la conclusion de la conférence de Michel Manson : « Vous avez mentionné Théodule-Armand Ribot (1839-1916) et les premiers travaux en psychologie expérimentale, à la fin du XIXe siècle. La prise en compte de l’enfant et de son développement psychologique – on dirait aujourd’hui « cognitif » -- constitue une première étape dans l’émergence des Sciences de l’éducation comme discipline (cours à la Sorbonne en 1883; Ribot, cours de psychologie expérimentale, 1885). À partir de quel moment de tels travaux ont-ils été pris en compte par les concepteurs et éditeurs de livres pour enfants ? »
Ce à quoi répondait Michel Manson : « Probablement pendant la période de l’entre-deux-guerres, et ce jusqu’à la loi sur la protection de la jeunesse de 1949 ; mais les combats des éditeurs (cf. supra) ont été très âpres et difficiles à vivre. »