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Pierre Bayle by Louis Ferdinand Elle

Pierre Bayle (1647-1706)

 

Pierre Bayle : Liberté de conscience et soif de savoir : libido sciendi

par Robert d'Artois, académicien,  séance du 3 février 2020

 

   Lors de la séance publique du 3 février, l'académicien Robert d'Artois a souligné, dès son introduction, la complexité de la personnalité de Pierre Bayle dont la vie et l’œuvre sont intimement tressées. C’est pourquoi il a narré de manière très vivante l'itinéraire tant conceptuel que géographique de Pierre Bayle avant d'en montrer son apport à l'histoire de la pensée occidentale.

   Né en 1647, Pierre Bayle est le deuxième fils de Jean Bayle, Montalbanais, pasteur protestant au Carla-le-Comte, qui deviendra, par hommage, deux siècles plus tard, le Carla- Bayle. Sa famille ne pouvant payer deux scolarités, c’est son père qui lui sert de précepteur, sa curiosité naturelle fera le reste, Bayle se qualifiant d’autodidacte, d’où cette passion d'apprendre, sa "libido sciendi" qui l'animera durant toute sa vie.

 

 

   Ce n'est qu'à 19 ans qu'il intègre le collège de Puylaurens, puis son Académie protestante, il la quitte rapidement pour le collège des Jésuites de Toulouse, se convertissant alors au catholicisme, le 19 mars 1669. Mais dix-huit mois plus tard, ayant obtenu le grade de bachelier ès-arts, il s'enfuit de Toulouse et retourne à la religion réformée. Devenu relaps, il s'enfuit à Genève en août 1670. Il survit en devenant précepteur, puis rentré en France en 1674 malgré les risques encourus, il devient par la suite titulaire de la chaire de philosophie à l'Académie réformée de Sedan.

   C'est à Sedan qu'il se lie avec le professeur de théologie Pierre Jurieu et ce, pour le meilleur comme pour le pire. L’Académie fermée, Pierre Bayle quitte définitivement la France en 1681 pour Rotterdam,. L'on y crée pour lui comme pour Pierre Jurieu une "Ecole Illustre" : Bayle y enseigne la philosophie et l'histoire, Jurieu la théologie. En mars 1682 paraît, sous anonymat et sous faux nom d'éditeur, son ouvrage Les pensées diverses sur la comète de 1680. Dans un style tonique sous forme de lettres à un docteur de Sorbonne, il y pourfend les préjugés qui attribuent aux comètes une influence mystérieuse sur les événements humains, dénonçant les excès de la superstition. Deux ans plus tard en 1684, il crée ses Nouvelles de la république des lettres, revue mensuelle, ancêtre de tous les magazines littéraires, ce qui lui confèrera une grande notoriété dans l'Europe savante.

   Mais deux événements ont bouleversé sa vie : l'un concerne son frère aîné Jacob, l'autre la querelle avec Jurieu.

   Tout d'abord en 1685, l'année de la révocation de l'Édit de Nantes, le frère aîné de Pierre Bayle, Jacob, meurt en prison après une longue agonie. Il avait refusé d'abjurer le protestantisme ; Pierre se sent responsable de sa mort à cause de ses publications. En effet était paru à Amsterdam en 1682 sous anonymat une Critique générale de l'histoire du Calvinisme du père Mainbourg, un jésuite qui cherchait à propager la haine sur la conduite des réformé. Toujours sur la brèche, il publie en 1686 son Commentaire philosophique sur ces paroles du Christ "compelle intrare" (contrains-les d'entrer). Cet ouvrage sera publié à plusieurs reprises sous le titre : De la tolérance, commentaire philosophique. Là résident toute la nouveauté et la force de Bayle car il fait la distinction entre ce qui relève de la théologie et ce qui relève de la philosophie.

   L'idée de la tolérance qu'il soutient contre les catholiques lui attire l'hostilité du protestant Jurieu, aussi intolérant que ses adversaires. En 1691, celui-ci le dénonçant au consistoire pour athéisme ainsi que pour propos contraires à l'esprit de la république hollandaise, obtient sa révocation de la charge de professeur. De santé fragile, il meurt à 59 ans, miné par la tuberculose, le 28 décembre 1706.

   Le conférencier aborda ensuite les trois points forts de l'apport à l'histoire de la pensée occidentale, intimement liés par le primat donné à la raison à savoir :

   La tolérance, qui vient de l'absence de certitude. Si l'on ne peut être certain de rien, chacun est libre de penser ce qu'il veut, quel que soit le sujet., c’est donc la liberté de conscience qui fonde la tolérance. Bayle défend les droits de ce qu'il appelle "la conscience errante", donc le droit à l'erreur et pose hardiment le principe de libre examen et de libre discussion.

   La dissociation entre morale et religion, qui marque en citant de grandes figures exemplaires, que l'on peut être religieux sans être moral et être moral sans être religieux, car c’est la raison qui est la source d'une morale indépendante.

   Le Dictionnaire historique et critique, qui constitue le grand-œuvre de Pierre Bayle. La première édition sort en 1696. Il a pour objet de corriger, par un examen critique, les erreurs couramment admises. En multipliant les niveaux de lecture, l'analyse contradictoire et les renvois instructifs, le Dictionnaire connaît un succès considérable.

   Pierre Bayle, apôtre de la tolérance, et premier encyclopédiste a ouvert la voie aux philosophes du dix-huitième siècle qui puiseront sans cesse dans son Dictionnaire. Sa volonté ferme de passer toute information au trébuchet de la raison, en fait le précurseur de la critique historique moderne.

   De nombreuses questions furent posées sur les positions philosophiques et historiques de Pierre Bayle. Robert d’Artois souligna combien la curiosité d’esprit conduite par la raison était essentielle pour Pierre Bayle qui s’opposait à tout dogmatisme. L’académicien Jean-Luc Nespoulous, neuro-linguiste, précisa que Bayle, par la disposition des notes de part et d’autre du corpus du texte, permettait une compréhension plus facile des écrits.