Un alerte centenaire : Pierre Gamarra tel qu’en lui-même.
par Claude Sicard , membre titulaire, ancien président, séance du 3 juin 2019
C’est à une brillante conférence qu’a été convié un nombreux public, le 3 juin. Le professeur Claude Sicard, membre titulaire et ancien Président de l’Académie, a évoqué la mémoire et le riche parcours d’Un alerte centenaire : Pierre Gamarra tel qu’en lui-même.
Né à Toulouse le 10 juillet 1919, il avait fait ses études à l’Ecole Normale d’Instituteurs de cette ville, puis s’était lancé dans la Résistance en distribuant des tracts et des journaux clandestins. Attaché dès 1949 à la revue parisienne Europe, il aimait se ressourcer sur ses terres occitanes que célèbrent bon nombre de ses œuvres poétiques et romanesques comme La Maison de feu (1948), La Femme et le fleuve (1951), Rosalie Brousse (1953), Le Maître d’école (1955), La Femme de Simon (1962), Rhapsodie des Pyrénées (1963), Les Mystères de Toulouse (1967), Cantilène occitane (1979), Le Fleuve palimpseste (1984), Romances de Garonne (1990)…Dans l’éloge prononcé sur sa tombe au cimetière de Bessens, le 30 mai 2009, Claude Sicard soulignait l’importance de cet "l’écrivain occitan de langue française" : 20 recueils poétiques et 50 romans et nouvelles (dont la moitié à l’intention de la jeunesse), 6 biographies, 5 essais et préfaces, 8 pièces de théâtre…
Pierre Gamarra avait été élu au 35ème fauteuil de l’Académie, succédant au professeur et homme de théâtre Claude Barousse. Héritier du Siècle des Lumières, il avait écrit en juin 1974 ces phrases lourdes de sens : « Il n’est pas possible de se détourner des mains torturées d’un musicien, des enfants assassinés, des villages et des villes incendiés… Les regards d’un enfant mort – mort par la faute des hommes, dans la guerre des hommes – ces regards sont terribles, insoutenables… ». Sa vie durant, l’écrivain n’a eu de cesse, ainsi que le souligne Claude Sicard, de dénoncer toutes les formes de la violence mortifère et de « symboliser à la fois notre espérance d’un ailleurs à notre portée, tel que la poésie nous le laisse entrevoir, et le retour aux simples richesses de la terre, qui assurent sans artifice notre être au monde »
L’écriture de Pierre Gamarra rejette sans détours notre « société de consommation étalée à l’envi dans son matérialisme mercantile », précise Claude Sicard. L’homme aime raconter, avec une ardeur juvénile s’orientant à la fin de sa vie vers les civilisations orientales, « la pureté du commencement ». Et le conférencier d’ajouter : « Il ne s’agit pas pour Pierre Gamarra d’un regard nostalgique vers un passé révolu mais tout au contraire d’un effort pour nier l’absurde dans un recommencement plein de promesses ». Ceci se vérifie aisément dans des œuvres comme La Maison de feu, Le Maître d’école ou La Femme de Simon.
Pierre Gamarra laisse aussi à la postérité une grande fresque historique en trois volets : Les Mystères de Toulouse (1967), L’Or et le Sang (1970) et 72 Soleils (1975). L’action commence après le coup d’État du 2 décembre 1851, se poursuit sous le Second Empire, se termine dans le sang lors de la Commune de 1871. Le héros de cette reconstitution est Jacques Berthet, dit Jacques Soleil. Claude Sicard souligne enfin l’importance de l’œuvre poétique de Pierre Gamarra par la lecture de Sur un visage de jeune fille (1975), poème inédit écrit à Hanoï pendant la guerre du Vietnam. La guerre n’épargne aucun peuple. Les années noires se succèdent au fil des siècles. L’Histoire serait-elle une fatalité ? De toute la force de ses convictions, Gamarra en refuse l’idée, de même que ses personnages en proie aux "colères" de la Garonne et du Tarn, évoquées dans La Femme et le fleuve : lorsque le courageux maçon, Bertrand, voit la maison qu’il vient de restaurer détruite par les eaux en furie, il sait qu’avec d’autres il la reconstruira et sera plus fort que le malheur. Terminant sa passionnante et savante conférence, Claude Sicard ne manque pas d’évoquer l’une des pièces maîtresses de Pierre Gamarra, Oc, recueil de 40 poèmes, qui « nous engage à ne jamais désespérer ». Enseignement majeur, pérenne : « La force de ses mots est porteuse d’images. Le poète, l’artiste, est celui qui se heurte avec une telle obstination contre le mur qui semblait étanche de notre prison qu’il réussit à y percer la brèche d’une espérance ». Et de conclure : « Aurai-je réussi, chers amis, à vous convaincre de lire Pierre Gamarra, de découvrir cet être simple et bon, pétri de bon sens, passionnément épris de justice et de fraternité, et qui, par-delà le temps, nous aide à vivre ?... Ce centenaire conserve ces vertus qui n’ont pas d’âge et qui s’appellent honnêteté, générosité, confiance en l’homme ». Le président Jean-Luc Nespoulous concluait ainsi cette magistrale conférence : « Comme chaque fois, lorsque votre voix s’arrête, le silence devient tout à coup pesant. Vous nous avez convaincus de lire l’œuvre de Pierre Gamarra, de même que tous les auteurs dont vous nous avez parlé, un jour ou l’autre, avec fougue et sensibilité ».
Et le président Nespoulous de continuer : « Mon ami Jean Métellus, brillant écrivain haïtien qui obtiendra le « Grand Prix de Poésie de Langue Française Léopold Sédar Senghor » (2006) et le « Grand Prix de la Francophonie de l’Académie Française » (2010), rencontra Pierre Gamarra en 1969, alors qu’il terminait ses études de médecine. Dans le numéro 966 de la revue Europe (octobre 2009) consacré à Arthur Rimbaud, une douzaine d’hommages à Pierre Gamarra ont été publiés (pp. 272-309). À la page 291, Jean Métellus écrit : « L’homme avait beaucoup d’allure, de culture, mais c’était un homme d’abord simple et un merveilleux compagnon. Toujours plein de projets, il m’entretenait encore récemment et avec enthousiasme de la Chine qu’il apprenait à connaître à travers son fils et son petit-fils. Il m’avait aussi confié qu’il était rassuré sur l’avenir d’Europe grâce à l’équipe actuelle et à Jean-Baptiste Para en particulier. Cette revue était comme son enfant et il m’en parlait à chacune de nos rencontres, il en était la mémoire vivante. Le plus grand hommage que l’on puisse lui rendre, c’est de continuer à faire vivre et à développer cette revue. »
Dans la foulée, Claude Sicard lit une page du Fleuve palimpseste (Grand Prix de la Société des Gens de lettres) où Gamarra évoque avec une grande précision la ville de Montauban, qui donnera bientôt son nom à une voie nouvelle de la cité, tout comme les écoles de Bessens font désormais partie du Groupe scolaire Pierre-Gamarra.
Pour clôturer cette séance, le président Jean-Luc Nespoulous remettait la médaille de l’Académie à Mme Sylvette Devienne-Gamarra, la fille de l’écrivain qui n’avait pu la recevoir le jour de sa réception. Les académiciens peuvent être fiers d’avoir compté parmi eux cet homme d’exception dont Claude Sicard avait souligné que son œuvre, « par sa générosité, sa lucidité sans illusions mais sans faiblesse, nous aide à vivre en luttant contre l’absurde. »
À Montauban
À Montauban, parmi les maisons rouges,
je m’avançais vers le Tarn. Le soleil
mettait sur les trottoirs des diamants et des jais.
Le fleuve tout à coup s’emplissait de poèmes
et sur le Musée Ingres, lentement
naissaient des visages de feu.
Je me penchais vers le Tarn. Des dragons
de la Chine dansaient sur les eaux.
Je leur criais : ô merveilles de soie,
merveilles de jade et d’or rouge,
je vous salue, seigneurs de l’Orient léger,
venez me raconter les paroles du monde.
(poème publié dans P. Gamarra., La lune dans ton sac,
édité par les Amis de Pierre Gamarra, 2018.
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